Le deuxième roman de François-Henri Désérable, inspiré par
la biographie d’Evariste Galois, « mathématicien
de génie qui mourut en duel à vingt ans », est l’exemplaire réussite
d’un écrivain qui s’autorise toutes les libertés sans jamais oublier ce qu’il
veut raconter. Le texte coule comme un torrent dont le flux s’anime selon les
aspérités de son lit. On sait où il va, l’auteur nous le rappelle parfois :
vers un vingtième chapitre, autant de parties qu’il y a eu d’années dans la vie
du personnage, où celui-ci « dort
pour de bon. Le Vieux a tourné son pouce vers le bas. » Le Vieux à
barbe blanche était présent dès les premières lignes pour un claquement de
doigts qui s’appellera le big-bang.
Pourquoi, en effet, ne pas remonter à la création de
l’univers pour en arriver au père d’Evariste, Gabriel Galois ? Et pourquoi
ne pas comparer le peu que nous savons de celui-ci à l’encore moins que nous
savons de John Shakespeare ? Puisque, dans les deux cas, les pères ne
doivent leur relative célébrité qu’à celle, éclatante, de leurs fils. Le
romancier est omnipotent : il invente ce que la mémoire n’a pas
enregistré, parce que les techniques n’étaient pas encore au point. Qu’en
fut-il, par exemple, de la nuit où Evariste fut conçu ? « Les sextapes, hélas, n’existaient pas », ce qui n’interdit pas de raconter
la scène avec les précautions que l’on prend à cette évocation devant une
demoiselle, lectrice imaginaire…
La fiction racontera le vrai, il faut prendre l’affirmation
pour ce qu’elle vaut : Evariste Galois non dans sa légende, nourrie par de
nombreux commentateurs, mais « tel
qu’il fut ». Le génie qui détestait Louis-le-Grand mais y découvrit,
en 1827, « ce royaume des
mathématiques dont très vite il devint le souverain. » Il avait quinze
ans, il se lance à l’assaut d’une montagne – pardon, une Montagne – dont le
sommet est d’accès plus facile pour lui que pour tous les autres. Nous le
disions en ouverture : François-Henri Désérable ne perd jamais son sujet
de vue. Il n’oublie pas non plus que les mathématiques, si elles sont la
principale raison de vivre de l’adolescent, son aspiration ultime,
s’accompagnent d’autres frémissements. Il est tenté par les barricades de 1830,
il est secoué d’une manière qu’il ne comprend pas, car il n’a à peu près jamais
vu de fille, par la vision de Stéphanie en 1832. La fin est proche, et
probablement a-t-elle un rapport avec cet émoi-là.
Evariste, roman
qui avance bien des hypothèses sans les démontrer toutes, possède la clarté
d’une évidence.
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