jeudi 29 avril 2010

Siri Hustvedt : le 11 septembre au présent

Intégrer les attentats du 11 septembre 2001 comme une donnée définitivement inscrite dans ce début de 21e siècle et dans la mémoire collective. Donc, aussi dans la littérature qui témoigne de notre époque. En France, Luc Lang et Frédéric Beigbeder avaient été les plus rapides à le faire avec, respectivement, 11 septembre mon amour et Windows on the world. La belle vie, de Jay McInerney, a suivi en traduction. Il y en a eu, il y en aura encore, personne n’en doute.
Mais la distance chronologique permet maintenant de ne plus focaliser tout un roman sur la chute des tours du World Trade Center. Dans Elégie pour un Américain, l’image apparaît brièvement au début: Inga et Sonia, sœur et nièce d’Erik, le narrateur, fuient l’incendie, la fumée et les décombres. On apprend plus tard qu’Inga, qui a consacré un chapitre d’un livre à la représentation de ce jour-là dans les médias, s’interroge sur ce que l’adolescence de sa fille aurait été sans l’événement. Un peu plus loin, encore, que Sonia éprouve des difficultés à intégrer un huitain consacré au 11 septembre dans un poème qu’elle écrit. Et c’est aux trois quarts du roman seulement, deux ans après, que Sonia craque d’un coup: «Je ne veux pas de ce monde! Je n’en veux pas!», hurle-t-elle…
C’est la marque d’un temps où les blessures sont cachées sous la peau, mais très près de la surface, et peuvent se rouvrir à n’importe quelle occasion. C’est aussi la marque d’un superbe livre où les morts restent présents parmi les vivants. Présence parfois amicale, souvent envahissante, avec laquelle vit Erik, psychiatre et psychanalyste qui porte, outre ses propres démons, ceux de ses patients. Il revoit souvent son père et les carnets que celui-ci a laissés racontent la génération précédente, laissant entrevoir quelques-uns de ces secrets qui font le mystère de toute vie.
Max, le mari d’Inga, écrivain célèbre, est mort lui aussi en laissant un secret. Sa veuve tente de le percer. Mais elle se trouve en compétition, sur ce terrain, avec d’autres personnes, moins bien intentionnées, plus insensibles à la douleur que la révélation pourrait provoquer chez Sonia.
Ainsi se dessine un territoire humain sur lequel chaque fait a laissé une trace indélébile, aux effets imprévisibles. Siri Hustvedt – l’épouse de Paul Auster – fait preuve d’une sensibilité grâce à laquelle les émotions de tous ses personnages deviennent palpables. Qu’ils soient placés sous le regard d’un psychanalyste n’est bien sûr pas innocent: rompu aux fouilles dans des esprits encombrés d’un fatras illisible, Erik décode ce territoire avec une générosité qui nous le rend aussi sympathique qu’il est fragile. Car, comme souvent, c’est dans ses propres sentiments qu’il lit le plus mal…
Une œuvre de mémoire où les couches superposées des générations forment l’assise de notre présent.

mercredi 28 avril 2010

Quelques souvenirs de Pierre-Jean Rémy

Comme je l'écrivais à l'instant en commentaire de l'excellent blog de Pierre Assouline, La république des livres, il ne m'a pas été facile de passer, dans la même journée, entre ce matin et cet après-midi, d'un article sur le formidable roman de Paul Verhaeghen, Oméga mineur (dont parle Pierre Assouline et que je vous avais annoncé en interviewant Claro, son traducteur) à un autre pour "enterrer", comme on dit dans notre jargon de journalistes, Pierre-Jean Rémy.

Je garde un excellent souvenir d'une longue rencontre que nous avions eue, et un souvenir meilleur encore de la lecture de ses premiers livres. Je l'avais découvert peu de temps après son prix Renaudot de 1971 pour Le sac du Palais d'Eté, un roman furieux, emballé, énorme. C'était l'époque où, sortant d'études secondaires pendant lesquelles les professeurs ne m'avaient proposé que de la littérature très sage, je découvrais goulûment le droit de l'écrivain à ruer dans les brancards - et le droit du lecteur à en profiter avec ravissement, ce dont, vous devez vous vous en douter, je ne me privais pas.
Je me souviens surtout de la manière dont Pierre-Jean Rémy, quand je l'ai vu, m'avait parlé des voix de femmes dans les opéras qui lui étaient chers. Je ne crois pas lui avoir raconté, en revanche, que j'avais de mon côté, après le choc que son troisième livre avait provoqué chez moi, mis tous ses livres en fiches (il n'y avait pas encore une bonne soixantaine), avec l'intention d'écrire un article définitif que je n'ai évidemment jamais écrit. Heureusement: avec son rythme de production, la notion de "définitif" avait, par avance, du plomb dans l'aile (si une notion a des ailes, bien sûr).
Son œuvre sera peut-être définitivement close le 14 mai, jour de la parution de son nouveau roman - posthume donc. Comme je ne peux rien vous refuser, voici les premières lignes de Voyage présidentiel:
1er avril
Très vite, une heure à peine après le départ, j’ai ressenti pour la première fois ce sentiment de liberté, cette légèreté que depuis des années je croyais ne plus savoir goûter. Le ciel était clair, à côté de moi Laurent était plongé dans la lecture d’un volume fatigué qu’il avait tiré de sa serviette au moment de s’asseoir. Les Déracinés, Barrès, entre les mains: pourquoi pas? Nous sommes d’une génération qui a aussi lu Barrès. Il y a quelques années, m’a-t-on dit, deux ou trois conservateurs de la Bibliothèque nationale – pour laquelle je n’ai en rien l’attachement qu’on me prête – auraient voulu organiser un cycle de trois expositions consacrées à ce qu’un historien a pu qualifier de «Siècle des écrivains». Le siècle de Barrès, celui de Gide, celui de Sartre. Le bruit en serait arrivé jusqu’à mon cabinet, et je ne sais lequel de ces imbéciles qui montent la garde autour de moi aurait levé les bras au ciel: «Barrès, vous n’y pensez pas?» Quant au petit père Gide, lui, il l’aurait trouvé «bien daté»! En revanche, le pauvre garçon aurait tout à fait apprécié le projet d’une exposition et d’un cycle de conférences, colloques et autres chochotteries sur le seul Sartre.
A suivre, dans deux semaines, en librairie... Si l'impatience est une de vos caractéristiques, profitez de ce temps pour lire Le sac du Palais d'Eté. Vous ne le regretterez probablement pas.

L'agence tous services de Dominique Mainard

Delphine a trente-cinq ans. Elle est la propriétaire de l’agence Pour Vous. Une agence très particulière: demandez-y n’importe quoi, vous l’obtiendrez. De la compagnie pour un grand-père. Un enfant à louer pour quelques heures par semaine. De l’aide pour faire les courses. Du temps à partager, et plus si affinités. La surveillance d’un malade, jusqu’à la fin, et jusqu’à lui donner la mort le moment venu. La conception d’un enfant pour une mère stérile. Rien ne paraît impossible, à une condition: n’espérez pas que Delphine fasse entrer le moindre souffle d’affection dans son travail. Pour le reste, elle est parfaite. Et, c’est le moins qu’on puisse en dire, elle paie de sa personne. Elle n’ignore pas qu’elle est en marge de la légalité pour un grand nombre de ses activités. Mais elle connaît si bien le besoin d’affection éprouvé par ses clients qu’elle trouve normal de leur mentir quand elle la leur procure. En cas de problème, elle sait qu’un contrat a été signé.
La nouvelle héroïne de Dominique Mainard fait froid dans le dos. Elle effectue un calcul cynique. Elle se repose sur des fiches soigneusement mises à jour et une comptabilité bien tenue. S’il est vrai que tout s’achète, en voici encore une preuve. Mais le cynisme est seulement du côté du personnage, pas de la romancière, comme on le verra plus loin dans le récit.
Delphine effectue elle-même l’essentiel des travaux de son agence. Elle a quand même une employée, Marja, la quarantaine, capable, elle, de pleurer et d’éprouver des sentiments. Marja ne comprend pas l’insensibilité de sa patronne. Craque parfois devant ses exigences et celles des clients. Elle se prête à leurs désirs. Prête même son fils. Mais n’en peut plus de se faire traiter de prostituée ou de mauvaise mère.
Marja est le miroir dans lequel Delphine ne se voit pas… «Je ne suis pas une gentille jeune femme, Marja, lui avais-je dit un jour».
La directrice de Pour Vous n’est pourtant pas un être coulé d’une seule pièce. Une faille discrète apparaît en elle quand Jones veut la charger d’un travail qui semble pourtant plus anodin que bien d’autres: dactylographier les cahiers qu’Adorno, un amant de Jones, a écrits pour lui, d’une écriture difficilement lisible. Jones sait le rôle que Delphine a joué dans les derniers mois d’Adorno. Il ignore que l’accompagnatrice du malade a, après la mort de celui-ci, caché les cahiers dans l’espoir qu’ils ne soient jamais retrouvés, qu’elle s’est emparée d’une importante somme d’argent et qu’elle a précipité, à la demande d’Adorno, sa fin.
Delphine, quant à elle, est troublée par une mission qu’elle ne veut d’abord pas accomplir, avant de s’y plonger passionnément, de recopier elle-même le texte en y modifiant quelque peu la vision qu’il donne d’elle-même. Finalement, elle n’apprécie pas trop d’être jugée si froide. Pire: Jones ne la laisse pas indifférente. Alors qu’elle porte l’enfant d’une autre femme, pour la première fois, elle devine en elle quelque chose de si proche de l’amour qu’il faut bien l’appeler ainsi. La femme qui résistait à tout devient pareille aux héroïnes des romans à l’eau de rose qu’appréciait tant sa première employeuse.
C’est le monde à l’envers, à moins qu’il soit remis à l’endroit. Dominique Mainard aime ces pirouettes qui lui permettent de visiter l’intérieur des âmes, de presser ses personnages pour leur faire donner tout leur suc. Une fois encore, elle pratique une gymnastique plaisante qui nous oblige à considérer Delphine d’un autre œil. Et à reprendre espoir dans l’humanité: en définitive, le pire n’est pas toujours sûr.
Ce roman a obtenu le prix des Libraires en 2009.

lundi 19 avril 2010

Zapculture : le Printemps de Bourges comme si vous y étiez, ou presque

J'ai retrouvé ma voix - c'est-à-dire que j'ai enfin branché la bonne fiche dans la prise adéquate pour intercaler quelques mots entre les sons venus d'ailleurs. Il n'y avait pas de quoi se fatiguer trop aujourd'hui puisque j'ai décidé de vous proposer des extraits de chansons en liaison directe avec le Printemps de Bourges. Neuf artistes, donc, qui étaient sur scène à cette occasion, dans l'ordre des pochettes que je vous montre ci-dessous. Et, pour télécharger l'émission, pas de changement: le casque ci-contre sert à cela.








lundi 12 avril 2010

Zapculture, le retour

Me revoici. Avec un numéro de Zapcultures que j'ai eu bien du mal à faire parvenir jusqu'à vous - connexion paresseuse - mais dans lequel les curieux devraient trouver quelques sujets d'intérêt, du côté de la musique et de la littérature. Une bonne journée après son montage, cette "émission" datée d'hier vous appartiendra en suivant le lien du caque audio...

On ouvre avec Arno, le chanteur belge à l'accent flamand à couper au couteau, à la voix chargée d'alcool et de fumée, pour son nouveau disque, Brussld, titre sobre (oui!) et incompréhensible, sauf si l'on se souvient que ce Bruxellois, originaire d'Ostende, revendiquait son appartenance à l'Europe il y a longtemps déjà et que les barrières de langue ne lui ont jamais fait peur.
Je n'ai pas écouté le disque en entier - une chanson par-ci, par-là, couleur sombre et rythmes paresseux - et les critiques rassemblés par Télérama n'ont pas aimé. Ils ont peut-être raison. A moins que le journaliste de Tout arrive (France Culture) qui a, lui, apprécié, soit dans le bon...
Sous sa diction... particulière, vous comprendrez peut-être comment Arno écrit ses chansons, en puisant autour de lui et sans trop bosser, puisqu'il n'aime pas ça. (00'25"-02'34")

Place à la littérature, trois sujets aujourd'hui, avec de mon côté un faible pour le premier: le nouveau roman de William Boyd, Orages ordinaires. Comme l'annonce l'émission, Tout arrive, "la discussion porte d’abord sur sa méthode de travail avant d’entrer plus précisément dans les questions que posent le roman: «Que reste t-il quand on a tout perdu?» «A-t-on encore une identité?». Adam Kindred, personnage principal de ce thriller humaniste, n’a plus rien et doit «se réinventer pour survivre» comme le précise l’auteur."
Boyd, c'est - les moins jeunes s'en souviennent peut-être - cet écrivain britannique dont Bernard Pivot proposa un jour de rembourser lui-même le livre aux acheteurs qui auraient été déçus. Je ne sais pas s'ils furent nombreux à venir trouver l'animateur d'Apostrophes dans ce but. En tout cas, il n'y a rien de décevant, bien au contraire, dans ce roman londonien à l'atmosphère de thriller auquel j'ai consacré, la semaine dernière, un article dans Le Soir. (02'34"-05'06")

Je n'ai pas lu, en revanche, le nouveau roman de Guillaume Musso, La fille de papier. Et - pardonnez-moi - je ne crois pas que je le ferai. Ou alors, plus tard, quand il sortira au format de poche. Je n'ai pourtant aucun mépris pour le succès, j'aime des livres qui se trouvent placés très haut dans les listes de meilleures ventes - pas tous, quand même, faut pas exagérer. Dans ce cas-ci (comme dans d'autres), je suis quand même légèrement irrité par l'argument commercial qui repose presque exclusivement sur le tirage - énorme, je vous l'accorde, bien que j'aie oublié le chiffre exact.
En ce qui me concerne, je préfère les arguments littéraires pour juger de la qualité d'un livre.
Dans Les livres ont la parole (RTL), ce que j'ai entendu à ce sujet ne me rassure pas complètement. Il paraît que Guillaume Musso a un culot monstre, qu'il ose tout. Pensez donc! Il introduit un personnage de fiction dans la fiction! Quelle audace!
Et je me trompe probablement en ayant la vague impression que cela a déjà été fait quelque part, et souvent... (05'06"-06'02")

J'ai davantage de sympathie pour Katherine Pancol dont le troisième (et dernier?) volet de l'énorme feuilleton commencé avec Les yeux jaunes des crocodiles est l'autre énorme succès du moment. Je ne vous donnerai pas non plus les chiffres du tirage, de la mise en place chez les libraires, des réimpressions, etc. Mais j'ai lu Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi, comme j'avais lu les deux volumes précédents (celui-ci est le plus épais). Et je peux donc vous en dire un mot. (Pour le détail, il faudra se reporter à cet article.)
On ne s'ennuie pas chez Pancol. Pas souvent. Je me suis parfois dit qu'elle aurait pu couper deux ou trois cents pages (enfin, c'est peut-être parce que je me devais d'aller jusqu'au bout avant d'en parler, et que cela m'aurait permis de lire autre chose). Mais l'histoire tient la route, les personnages sont bien campés - surtout si on a pris le temps de s'habituer à eux depuis le début et Joséphine, l'héroïne, est attachante.
D'ailleurs, écoutez comment la romancière raconte, dans Regarde les hommes changer (Europe 1), la naissance de Joséphine. (06'02"-09'01")

On va finir comme on avait commencé, en musique - mais pas du même genre -, avec Patricia Petibon qui chante des airs baroques italiens sur Rosso. Elle était invitée au Rendez-vous (France Culture) et la présentation de l'album est si enthousiaste que je vous la livre telle quelle.
"Une chanteuse dont la seule apparition suffit à vous mettre de bonne humeur – même si vous savez que ce qu’elle va chanter sera grave, émouvant ou pathétique, et que l’orchestre déjà vous le fait entrevoir. On prend du plaisir même à la tristesse: n’est-ce pas étrange ? Et il augmente encore dès qu’elle ouvre la bouche. Les difficultés de la vie se sont effacées. Déjà vous les avez oubliées.
Patricia Petibon réussit ce prodige: elle vous rend heureux alors que ce qu’elle chante vous fait venir les larmes aux yeux... Mais le plus étonnant dans le programme qu’elle nous propose sur cet album est que ses qualités particulières correspondent si bien à la musique qu’elle nous offre. Elle chante toutes sortes de musiques, de Lully et Haendel à Bernstein, en passant par Mozart et Debussy, avec une affection particulière pour la musique baroque. Pourtant, ce n’est pas par elle qu’elle a commencé. «Quand je suis arrivée au Conservatoire de Paris, dit-elle, et que j’ai étudié avec Rachel Yakar, j’ai travaillé avec elle toutes sortes de musiques. Je chantais alors Zerbinetta dans Ariane à Naxos de Richard Strauss. Je continue à aimer toutes les musiques ensemble: chanter le rôle d’une religieuse dans les Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc, c’est aussi émouvant que donner sa voix à toutes les amoureuses que j’ai enregistrées.» Quant à la musique baroque, c’est la rencontre avec William Christie qui l’a, reconnaît-elle «orientée dans ce sens».
La musique qu’elle nous propose dans cet enregistrement constitue comme un concentré de ce que fut l’opéra, né en Italie et répandu à travers l’Europe. La sensibilité baroque, le goût, le plaisir en ce temps-là, ne pouvaient se satisfaire d’une déclamation musicale spianata (simple et naturelle). Il leur fallait la surprise, l’émotion, l’émerveillement. Les compositeurs, comme leur public – et les chanteurs plus encore – désiraient une sorte de merveilleux, une féérie, et même un peu de folie, par la voix: un style fiorito. La poésie, devenue serva de la musique, cherche à caractériser les affetti et donne naissance à une forme close, l’aria con da capo, permettant la transcription lyrique, dramatique ou légère, du sentiment et donnant au chanteur la possibilité de le développer par la virtuosité. Il doublait ainsi l’émotion par l’émerveillement. L’univers baroque se situe délibérément dans l’irréel, et le merveilleux vocal répond à ce qu’était alors la mise en scène pleine d’apparitions, de vols et de nuages. Il répond par les sons à l’émotion lyrique de la Sainte Thérèse du Bernin, tout comme la virtuosité architecturale de Borromini accompagne celle des chanteurs." (09'01"-11'32")

Générique, fin, et à la semaine prochaine si tout va bien.

lundi 5 avril 2010

Zapculture : aujourd'hui, je zappe...

Désolé pour celles et ceux qui attendaient ma livraison hebdomadaire de sons repiqués dans des émissions de radio: aujourd'hui, je n'ai pas le temps de vous fournir cela. Trop de lectures en cours, trop d'articles à rédiger...
Je reviens aussi vite que possible.

samedi 3 avril 2010

Deux livres exceptionnels

Je ne trouve pas le temps de vous parler de tous les livres que je lis. J'aimerais bien, pourtant. Mais... le travail... vous savez ce que c'est, je suppose. Voici quand même deux ouvrages qui sortent du lot et dont j'estime la lecture indispensable. Le premier est un récit de voyage sur un ton très libre. Le second, un roman hors normes. C'est parti...

Olivier Rolin, Bakou, derniers jours

Tous ses amis avaient déconseillé à Olivier Rolin de séjourner à Bakou en 2009. Par sa faute: dans Suite à l'hôtel Crystal, un ouvrage précédent, il avait mis en scène son suicide («en tout cas celui d'un personnage qui porte mon nom») cette année-là, dans un hôtel de Bakou. L'esprit de contradiction a fait le reste: «La multiplication de ces affectueuses mises en garde fit évidemment naître en moi l'idée que je devais à tout prix me rendre à Bakou en 2009, et y demeurer assez longtemps pour laisser à la fiction de ma mort sur les bords de la Caspienne […] une chance raisonnable de se réaliser.» Le voici donc, lesté d'ouvrages sur le thème de la mort, face à la possibilité de sa propre fin…


René Belletto, Hors la loi

Luis Archer est né le 6 juin 1966. Il est mort à la même date, comprend-il quarante-deux ans plus tard. Les premières lignes du nouveau roman de René Belletto posent cette affirmation, douteuse malgré le cadre enchanteur où le personnage principal la formule. C'est jour de marché à Saint-Maur, il fait beau ce 6 juin 2008, Clara rayonne d'une absolue beauté. Tout semble évident. Même l'affirmation initiale? Presque: il faudra 480 pages pour nous y faire croire.
Hors la loi est bâti sur des coïncidences dont la multiplication suscite les questions, induit quelques réponses et trouble en profondeur. Revient ainsi, de loin en loin, un quatrain inscrit dans la mémoire de Luis Archer qui n'en connaît pas l'origine: «Amours rêvés de ma jeunesse / Se sont enfuis avec le temps / Mais que jamais ne disparaisse / Le souvenir que je t'attends.» Curieusement – c'est loin d'être la seule chose curieuse ici – les mêmes vers sont calligraphiés dans un cahier qui appartenait à la mère de Clara.

lundi 29 mars 2010

Zapculture : spécial Salon du Livre

Je profite du Salon du Livre de Paris pour vous abreuver, aujourd'hui, de sons renvoyant à l'écrit sous toutes ses formes. Car le numérique fait parler de lui, nous ne manquerons pas d'écouter ce qu'on en dit. Le Zapculture de la semaine est téléchargeable en passant par le casque...

L'actualité culturelle du Rendez-vous (France Culture) présente brièvement les grandes tendances de la littérature d'aujourd'hui, comme on le fait dans les saisons de défilés. Autofiction et alterfiction sont au rendez-vous. (0'25"-2'19")

Le téléphone sonne (France Inter) avait rassemblé un plateau de spécialistes pour répondre aux questions multiples et variées des auditeurs à propos du livre numérique. Nous entendrons successivement:
Thierry Pech, d'Alternatives Economiques (qui publie une enquête sur La révolution du livre), évoquer le problème du prix du livre numérique;
Virginie Clayssen, Présidente des Commissions Numérique et Nouvelles technologies du Syndicat national de l'Edition, et chargée chez Editis du développement numérique et de la veille sur les domaines du numérique et de l'édition, parler du rôle des libraires;
Olivier Donnat, sociologue, qui a dirigé l'étude du Ministère de la Culture et de la Communication sur "Les pratiques culturelles à l'ère numérique", chargé de recherches au Département des études, de la prospective et des statistiques, nuancer la place du numérique en fonction des secteurs d'édition;
François Gèze, Président des Editions La Découverte, évoquer les progrès à venir. (2'19"-4'38")

Mais tout n'est pas rose dans l'univers électronique, comme le prouvent trois extraits du Rendez-vous. Ainsi, les chercheurs éprouvent des difficultés à lire les archives que Salman Rushdie leur a confiées (4'38"-5'14"). Nina Bouraoui réagit en évoquant, non sans nostalgie, le temps où elle écrivait sur des cahiers Clairefontaine (5'14"-6'08"). Et les créateurs de bande dessinée montent au front pour défendre leurs droits (6'08"-7'36").

Retour vers le livre papier pour les dernières séquences, consacrées à deux romancières primées pendant le Salon du Livre.
Je vous ai parlé déjà de La centrale, d'Elizabeth Filhol, et de son prix France Culture/Télérama.
J'ignorais qu'elle avait fait preuve d'une grande discrétion depuis la sortie de son livre en janvier, au point de n'avoir donné aucun entretien à une radio ou à une télévision. Cette lacune est comblée grâce à Tout arrive (France Culture). Elisabeth Filhol explique en quoi l'univers d'une centrale nucléaire lui semblait se prêter au cadre d'un roman. Elle ne s'était pas trompée. La technologie est un terrain que, comme tous les autres, la littérature est capable d'investir pour nous aider, sinon à la comprendre, au moins à l'approcher avec la sensibilité particulière de l'écriture. (7'36"-8'41")

Quant à Kim Thúy, elle a reçu le prix RTL/Lire pour Ru, que je n'ai malheureusement pas lu mais que Laissez-vous tenter (RTL) vous présente avec elle. Cette Québécoise d'origine vietnamienne s'est inspirée de sa vie pour écrire un roman qui a été très bien accueilli. L'éditeur le décrit ainsi:
Une femme voyage à travers le désordre des souvenirs: l'enfance dans sa cage d'or à Saigon, l'arrivée du communisme dans le Sud-Vietnam apeuré, la fuite dans le ventre d'un bateau au large du golfe de Siam, l'internement dans un camp de réfugiés en Malaisie, les premiers frissons dans le froid du Québec. Récit entre la guerre et la paix, Ru dit le vide et le trop-plein, l'égarement et la beauté. De ce tumulte, des incidents tragi-comiques, des objets ordinaires émergent comme autant de repères d'un parcours. En évoquant un bracelet en acrylique rempli de diamants, des bols bleus cerclés d'argent ou la puissance d'une odeur d'assouplissant, Kim Thúy restitue le Vietnam d'hier et d'aujourd'hui avec la maîtrise d'un grand écrivain. (8'41"-9'57")

A la semaine prochaine...

dimanche 28 mars 2010

Jean-Baptiste Del Amo et Paris qui pue

Le prix Goncourt du premier roman 2009 est paru en poche, et c'est une bonne nouvelle, car Une éducation libertine, de Jean-Baptiste Del Amo, mérite d'être découvert.
Avait-on déjà peint une Seine si noire? Dans le magnifique premier roman de Jean-Baptiste Del Amo, elle charrie toutes les sanies de la ville, la peau de ceux qui y travaillent se couvre de squames répugnantes, une tête de bébé ou un cadavre de bourgeois y traîne parfois. Pour Gaspard, qui vient d’arriver à Paris, elle est le lieu de son premier emploi précaire quand il est chargé, avec d’autres compagnons d’infortune, de récupérer des trains de troncs d’arbre. Elle est aussi le rappel d’un autre fleuve, près de Quimper, où s’est achevée la poursuite d’un cochon et la vie de son père.
De Quimper à Paris, c’est la même crasse. Faite de sang et de lisier dans une enfance marquée aussi par un monstrueux accouchement de sa mère. Faite de déjections diverses et d’une persistante odeur de mort dans une capitale qui, dans les années 1760, offre au jeune homme des perspectives d’ascension sociale, même s’il a commencé sa carrière plus bas que terre, dans une misère répugnante et une promiscuité moite.
Gaspard possède quelques atouts sous sa dégaine de paysan mal dégrossi: il est joli garçon et ne manifeste pas le moindre signe de sens moral. Arriviste, il utilise donc ses armes sans aucun scrupule, séduisant des hommes situés de plus en plus haut dans la hiérarchie sociale afin d’atteindre le statut de parvenu dont il rêve. Sous les assauts répétés d’amants dont il se lasse vite, il n’éprouve guère de plaisir. Et ne pense qu’à la suite, quand il gravira un nouvel échelon…
Libertin, Gaspard n’est cependant pas un parfait cynique. La corruption des chairs au milieu desquelles il se vautre faute de mieux correspond chez lui à une corruption de l’âme dont il prend de mieux en mieux conscience. Il aimerait extirper le mal qu’il devine dans son corps, contre lequel il aimerait se battre. La lutte est inégale entre l’ambition et la perception sourde d’une douleur née des années plus tôt. Aux blessures de l’enfance répondent alors celles que s’inflige Gaspard, dans une tentative désespérée de quitter la spirale de la débauche où il est entré.
Ce roman pue. Pour la bonne cause: les odeurs délétères qui flottent au-dessus de ses pages sont le reflet d’une probable réalité à laquelle nous sommes confrontés sans préparation. Jean-Baptiste Del Amo l’affiche dès la première phrase: «Paris, nombril crasseux et puant de la France.» Avant de dérouler un récit somptueusement baroque, dans toute la gamme des teintes prises par les corps malades et les cadavres. On piétine un cimetière, la beauté s’efface rapidement, brûlée par l’acide de désirs bestiaux qui ne s’embarrassent pas d’hygiène.
L’éducation est ici celle, et uniquement celle, de l’argent et du pouvoir – pouvoir illusoire en un temps où le pays vacille sur ses bases. Les philosophes mettent en doute bien des certitudes. La Révolution n’est plus très loin. En attendant, Paris pouilleux danse une funèbre farandole, emporté dans un délire comparable au fleuve malsain qui infecte plus qu’il nettoie.

samedi 27 mars 2010

Maxence Fermine vers Angkor

Je lis les romans de Maxence Fermine depuis une dizaine d'années. Il ne m'a jamais déçu. Ni tout à fait comblé. Souvent, j'ai l'impression qu'il lui manque un tout petit rien pour atteindre la quasi perfection. Je l'écris souvent dans mes articles, ce qui ne lui a pas échappé...
Cette fois, dans Le papillon de Siam, il met ses pas dans ceux de Henri Mouhot, un peu oublié aujourd'hui mais dont la redécouverte du site d'Angkor a fait un des grands explorateurs français du 19e siècle.
Comme je n'avais pas encore eu l'occasion d'interroger Maxence Fermine sur son travail d'écrivain, je l'ai fait cette fois-ci, pour vous.

Comment êtes-vous tombé sur Henri Mouhot, dont le nom n'est plus très célèbre?

J'ai découvert Henri Mouhot en lisant son récit de voyage publié chez Olizane, un peu suranné et colonialiste, mais qui a suscité ma curiosité. Cela m'a donné envie de voir plus loin, et surtout de raconter sa vie d'aventurier, qui était celle d'un personnage de roman. Ce récit est actuellement réédité chez Arléa.

Qu'est-ce qui vous frappé chez lui au point d'en faire un personnage de roman?

J'aurais voulu vivre ce qu'il a vécu, mais sans mourir à 35 ans, donc se mettre à sa place et vivre par procuration cette quête insensée me semblait plus sage que de me perdre corps et âme dans la profondeur des jungles asiatiques.

Dans la dédicace que vous me faites, vous dites que Le papillon de Siam est "une esquisse avant beaucoup mieux". Un peu d'ironie par rapport à mes remarques répétitives, ou l'annonce d'un projet ambitieux?

Je suis en train d'écrire un "gros" roman, plus ambitieux d'un point de vue littéraire et spirituel, que j'espère terminer un jour. Il se passe en Guadeloupe et se nomme Rhum Caraïbes. Dans ce livre, je voudrais rassembler toute la magie de la vie et de la folie des hommes autour d'une chronique familiale sur trois générations. C'est en quelque sorte une ode à la divinisation de la nature (je suis panthéiste), un poème à la vie et à ce qui la rend sacrée.

vendredi 26 mars 2010

30 ans de Salon du Livre, 30 ans de littérature française


Je ne lis pas que les livres, je lis aussi des articles sur les livres. Et il faut rendre hommage aux confrères journalistes littéraires quand ils ont bien travaillé. C'est le cas de l'équipe du Monde des livres dans le supplément de cette semaine, opportunément paru au moment où s'ouvre le trentième Salon du Livre de Paris.
L'occasion de proposer douze pages d'une rare densité, un regard démultiplié sur trente ans de littérature française à travers quelques thèmes forts (l'autofiction, le roman policier, le réel, la critique, la présence de cette littérature à l'étranger, etc.). Les écrivains ont aussi la parole, puisque plusieurs d'entre eux apportent un témoignage sur leur travail: Marie Billetdoux, Emmanuel Carrère, Philippe Djian, Serge Doubrovsky, Anne-Marie Garat, Philippe Jaccottet, Dany Laferrière et Camille Laurens.
Du beau monde pour un beau Monde, un numéro à lire attentivement et à conserver.
Je signale que, respectant sa propre tradition, Libération a proposé hier un journal où tous les textes sont signés par des écrivains. Je ne l'ai pas lu, peut-être les articles seront-ils accessibles aujourd'hui sur le site du quotidien, mais on peut déjà lire un "chat" avec Claire Devarrieux qui en est, en quelque sorte, le "making off".

mercredi 24 mars 2010

Prix de saison, avant le Salon du Livre: Laurent Mauvignier et Elisabeth Filhol

Après la Foire du Livre de Bruxelles, le Salon du Livre de Paris. Dénomination plus classieuse, mais déchirements en coulisses. Après les prix littéraires d'automne, ceux du printemps. Une saison pleine de promesses, ouverte par les libraires et France Culture/Télérama.

Les libraires n'ont pas surpris, puisqu'ils avaient déjà fait leur choix à la rentrée de septembre. Ils avaient plébiscité Des hommes, de Laurent Mauvignier, dans le sondage de Livres-Hebdo. Six mois plus tard, ils n'ont pas changé d'avis. Je ne leur donne pas tort.
Laurent Mauvignier fait appel à Jean Genet, en épigraphe du roman, pour poser la question à laquelle Des hommes tentera de répondre: «Et ta blessure, où est-elle?» Car il faut qu’il y ait une blessure quelque part pour qu’un simple cadeau d’anniversaire ait pareilles conséquences. Pour que tout de suite, on devine que quelque chose d’anormal se produit lorsque Feu-de-Bois, surnom qui s’est substitué au prénom de Bernard, entre dans la salle où sa sœur Solange fête ses soixante ans et son départ à la retraite.
Dans les douze premières pages, de l’arrivée de Bernard au moment où Solange ouvre la petite boîte où se trouve le cadeau, l’écrivain travaille caméra à l’épaule. Avec les ressources de l’écriture en plus. Si l’image avait pu montrer comment Bernard était habillé, elle aurait difficilement pu faire comprendre que sa tenue était le fruit d’un effort inhabituel. Encore moins fournir l’information: «Aujourd’hui, on dira qu’il ne sentait pas trop mauvais.» Avec une belle économie de moyens, l’auteur pose son premier personnage au milieu des autres, que nous allons apprendre à connaître. Il a soixante-trois ans, «il n’a pas toujours été ce type qui vit aux crochets des autres». C’est donc qu’il a un passé qui ne ressemble pas à son présent. Il n’empêche: il fait tache. Sinon, pourquoi le remarquerait-on à ce point? Et pourquoi un tel malaise quand Solange découvre la «grande broche en or nacré» que lui offre son frère?
Le lecteur ressent le malaise. Bernard, encore plus. Surtout quand Solange, qui a épinglé la broche à la place de celle qu’elle portait, l’a enlevée: «Et j’ai vu comment Solange a hésité en relevant les mains vers la broche, puis en se décidant franchement à la retirer, prétextant quoi, je ne sais pas, rien, peut-être rien, elle ne va pas avec ce pull, elle est trop belle, oui, trop belle pour ce pull, tu es fou, Bernard, de l’or, et puis quoi, avec quel argent.»
Puis les conséquences du malaise, le brusque emportement contre Chefraoui, l’Arabe du village, le «bougnoule». Bernard n’en a pas fini avec sa colère. Il va se rendre chez Chefraoui, effrayer sa femme et ses enfants, provoquer de l’agitation chez le maire et les gendarmes, peu habitués à pareil comportement, pourtant prévisible, disent certains, de la part d’un homme si sauvage…
«Et ta blessure, où est-elle?» Loin. Elle a été ouverte quarante ans plus tôt, ne s’est jamais refermée. En 1960, la France faisait une guerre qui ne disait pas son nom. Des jeunes appelés traversaient la Méditerranée, posaient le pied en Algérie et découvraient la peur en même temps que la violence. Violence d’ailleurs exacerbée par la peur, répression sans aucune limite, représailles de même, dans des combats où il valait mieux ne pas réfléchir si l’on voulait en sortir sans devenir aussi enragé qu’un animal.
Bernard a-t-il gardé sur la peau l’odeur des villages incendiés, jusqu’à la reproduire et mériter son sobriquet, Feu-de-Bois? N’a-t-il jamais pardonné à sa mère d’avoir retiré le bénéfice de son travail avant la majorité? A-t-il conservé des doutes sur les relations entre Mireille, rencontrée à Oran puis devenue sa femme, et Rabut, le cousin avec qui il s’est battu près d’un dancing?
Rabut, porteur, dans les premières pages, de la caméra (aussi imaginaire que subjective) dont je parlais plus haut, et qui ne comprend pas mieux que les autres ce qui se passe quand les événements se précipitent. Rabut, porteur aussi de cauchemars partagés avec Bernard et d’autres. Rabut, qui voudrait «savoir pourquoi on fait des photos et pourquoi elles nous font croire que nous n’avons pas mal au ventre et que nous dormons bien».
Entre les deux hommes déchirés par une haine confuse, Laurent Mauvignier dessine des souvenirs communs. Et des lignes de fuite qui se brisent sur des cadavres, sur des trahisons, sur des malentendus. Des hommes ne parle que de cela: des hommes. Leurs ambitions déçues, leurs erreurs tragiques, leur insondable bêtise. Notre insondable bêtise.

Quant au prix France Culture/Télérama, il sera remis demain soir, pendant l'inauguration du Salon du Livre, à Élisabeth Filhol pour son premier roman, La centrale.
Il y a cinquante ans, l'écrivain belge Jos Vandeloo publiait son premier roman, Het gevaar, traduit en français quatre ans plus tard par Maddy Buysse (Le danger). Les risques liés au nucléaire civil n'étaient pas, à l'époque, familiers aux lecteurs de fiction. Et il faudrait relire cet ouvrage à la lumière du premier roman d'Elisabeth Filhol. En partie pour se rassurer.
Dans Le danger, Alfred Benting, Harry Dupont et Martin Molenaar, qui ont été irradiés, sont des cas originaux que la médecine examine pour apprendre. Dans La centrale, le narrateur est suivi au fil de ses missions, la dose de radiations est évaluée en permanence et, une fois le quota franchi, le travail s'arrête jusqu'à la fin de l'année. Les risques d'accident physique sont connus et, autant que possible, limités. Le chômage, en revanche, est un horizon plat bien présent à l'esprit.
Travailleur DATR, soit directement affecté aux travaux sous rayonnement, le personnage principal n'est pas à l'abri d'un incident. Il se produit lors de sa mission à Chinon et hypothèque la suite…
Elisabeth Filhol semble ne pas pouvoir être prise en défaut sur ses informations. Le réalisme est tel, en tout cas, qu'il impose les images et le mode de fonctionnement d'une centrale nucléaire avec ceux qui y sont employés. A dire vrai, il ne s'agit pas que de réalisme: la beauté des descriptions aide à s'imprégner du lieu. Le monologue intérieur du narrateur est porté par une voix sereine, souveraine, que le lecteur n'a aucune envie de contrarier.
Explorer un monde inconnu du commun des mortels, nous y mener à travers l'intimité d'un homme dont c'est (à peu près) le seul univers, voilà le projet d'une romancière qui s'aventure hors des sentiers battus. En ouvrant des portes généralement scellées. On en sort contaminé, mais c'est sans risque.

lundi 22 mars 2010

Zapculture France, variété et inquiétude

Au rendez-vous du lundi, une belle brochette d'artistes, tous français: deux chanteuses, deux écrivains, un "inventeur", un film (assez moyen le film). Et un supplément, dont je vous reparle tout à l'heure, après le Zapculture "normal" que vous trouverez en téléchargement en suivant le lien du casque audio.

On commence en musique avec Enzo Enzo, qui a sorti son nouveau disque, Têtue, à la fin du mois dernier, et qui était invitée au Rendez-vous de France Culture. Présentation du disque par son éditeur:
Cinq ans après «Paroli», et après deux disques pour enfants, «Chansons d’une maman» et «Clap!», voici donc un nouvel album qui parle de la vie, de la vie vraie. Enzo Enzo chante la confiance qui renaît quand une histoire s’achève, les éblouissements de l’amour béat, la liberté qui surgit quand les enfants sont enfin partis voler de leurs propres ailes, l’envie de vivre sans les illusions des spiritualités en toc ou de la chirurgie esthétique… Sujets profonds, parfois rudes, mais toujours éclairés de la même lueur de félicité et de courage – «La vie contraint à être heureuse», dit-elle avec un grand sourire. Son disque ressemble à ce sourire: généreux, intime, réaliste, poétique, vaillant, délicat. (00'25"-01'32")

Première page littéraire, ensuite, avec un écrivain peu connu du grand public mais dont le travail marque son époque - la nôtre. Pierre Guyotat publie Arrière-fond et s'explique dans Tout arrive (France Culture) sur la manière dont il écrit:
Pierre Guyotat n’a pas écrit à la table. Pour «Arrière-fond», il lui fallait la voix, éjection de mots, érection de la phrase, assis sur son lit, sur un fauteuil, concentré, le regard plongé à l’intérieur, tourné vers ses 15 ans. Une femme prend note... «Je suis pour une lecture d’action. Je ne suis pas dans la contemplation. Je n’aime pas beaucoup la poésie.» Ainsi, Pierre Guyotat murmure ses phrases au présent et bat le pied, la jambe pour garder la mesure. «Le rythme, j’écris avec du rythme». Le rythme de la main touchant son sexe, le rythme des bordels, le rythme du plaisir, de la chair.
A ces corps sexués s’en confrontent d’autres: entassés, transportés, morts dans les camps. Analogie blasphématoire qui trouble le lecteur tout autant que Pierre Guyotat. (01'32"-03'44")

Avec Jean-Marie Gourio, autre invité de Tout arrive la semaine dernière, on n'est pas très loin de la littérature, même si c'est au théâtre que se jouent actuellement les Nouvelles brèves de comptoir (mises en scène par Jean-Michel Ribes). Vous en avez probablement entendu parler: Gourio tend l'oreille et fait sa récolte. Ce qui donne environ:
«S’il nous reste qu’une heure à vivre, ma femme elle range et moi je picole».
Des phrases qui fusent sans prévenir. Ça jaillit, comme ça, à l’étourdie. Librement. Et ça rebondit de plus belle... À moins que ça s’arrête. Paf. Tout net. Bouche bée, dans une grimace. Ces brèves de comptoir que Jean-Marie Gourio, expert en la matière, et Jean-Michel Ribes, expert en théâtre, donnent à voir et à entendre, relèvent à leur façon du patrimoine de l’humanité. Recueillis avec soin et composés au petit point en un tout étonnamment homogène, ces traits d’esprit ondulés fascinent jusqu’au fou rire. C’est que, souvent involontaires, surgies du gosier innocent de piliers de bistrot invétérés, ces brèves dans leur candide assurance révèlent aussi un fond d’incertitude. Il doute de tout celui qui doute de rien. Fermement convaincu que «ce qui ne va pas dans la société, c’est les gens». La preuve: «Ils ont dit qu’il allait pleuvoir et ils l’ont fait.» Aucun rapport? Pas grave. On se jette un Ricard «a capella». Jamais dupe, au fond: «C’est bien pour la France que les Américains ils aient un président antillais.» Qui dira le contraire? (03'44-05'56")

Le DVD de la semaine n'est pas un chef-d'œuvre. Réalisé par James Huth, avec Jean Dujardin, Sylvie Testud, Michaël Youn, Alexandra Lamy et Daniel Prevost (entre autres), Lucky Luke est un divertissement qui se veut spectaculaire, et l'est parfois, mais sur un scénario dont toutes les ficelles sautent aux yeux - quand elles ne lâchent pas.
Le train ne siffle pas trois fois, bien qu'il y ait des rails sur la prairie. Las Vegas se plante au milieu du désert. Jessie James, Billy the Kid et Calamity Jane sont au rendez-vous (il ne manque que les Dalton). La féminité reste une question quasi insoluble, forcément, pour un poor lonesome cow-boy qui prend son bain avec ses bottes. Et le seul personnage raisonnable du casting est Jolly Jumper. Oui, le cheval...
Si vous regardez ça négligemment un soir de grande fatigue et souriez deux ou trois fois pendant le film, je ne vous en voudrai pas...
En attendant, je vous sers un bout du son de la bande annonce. (05'56"-07'39")

Je vous ai parlé il y a peu de Catherine Cusset et de son Brillant avenir, le roman pour lequel elle a reçu le prix Goncourt des Lycéens. Dans Laissez-vous tenter (RTL), où les livres de poche sont présents chaque semaine, elle s'explique brièvement sur ce livre. (07'39"-08'17")

Pour terminer, ou presque, Françoise Hardy sort un nouvel album cette semaine, La pluie sans parapluie. France Inter permettait, pendant le week-end, de l'écouter en avant-première. Je partage avec vous le début de la première plage, et les informations sur le disque (que j'aime bien).
Quatre ans après les duos de Parenthèses, Françoise Hardy sort La Pluie sans parapluie, un album radieux, voire ouvertement pop sur plusieurs titres, à commencer par le single Noir sur blanc. Un goût retrouvé pour les tempos enlevés guide aussi Les Pas ou encore le très swingin’ sixties Je ne vous aime pas, que Françoise Hardy dédie à Danièle Darrieux et à cette réplique endolorie qu’elle prononçait dans Madame de…
La génèse de l'album: Pendant que Françoise Hardy écrivait , Alain Lubrano, son complice depuis quinze ans, mit la main à travers MySpace sur une artiste allemande: Fouxi. Il fit écouter à Françoise une chanson de la jeune femme, curieusement chantée en français et s'intitulant La Pluie sans parapluie. Cette chanson, remaniée avec l'accord de l'auteur, deviendra le fleuron de ce nouvel album, au point de donner son nom à l'album.
A l'occasion de cet album, Françoise Hardy a travaillé pour la première fois avec La Grande Sophie (qui signe les paroles et musiques de Mister), Arthur H (Les mots s’envolent), Jean-Louis Murat (le temps de Memory divine aux teintes country-blues), ou encore Calogero (le single Noir sur blanc). (08'17"-10'17")

Ce n'est pas fini pour aujourd'hui, puisque je vous ai promis un supplément. Un assez long extrait d'Esprit critique (France Inter), presque six minutes pour faire le point sur la présence de la culture française à l'étranger, à travers des institutions en pleine restructuration pour l'instant. Un deuxième casque pour vous conduire vers cette séquence présentée ainsi:
L'influence d'un pays dans le monde, on la mesure par son économie, son armée, mais aussi par sa culture, sa langue, ses artistes présents à l'étranger: cette diplomatie culturelle, Bernard Kouchner entend la réformer pour la rendre plus forte, mais cette réforme du ministre des affaires étangères déplaît...
Je réserve mes commentaires à mon autre blog, le sujet ayant une certaine importance à Madagascar.

vendredi 19 mars 2010

Henning Mankell et sa colère africaine

Dans une brève postface au Cerveau de Kennedy, Henning Mankell explique qu’il a été poussé à écrire par la colère. Avec en lui le souvenir du visage d’un jeune Africain mourant du sida, à la frontière entre la Zambie et l’Angola. Sa colère, il l’a inoculée toute entière à Henrik, un jeune Suédois que sa mère retrouve mort dans son appartement. Louise est brisée. Même si son fils semble s’être suicidé avec des somnifères, elle refuse d’y croire et elle se lance à la recherche de ce qui a pu le tuer.
Louise découvre d’abord, blessée et stupéfaite, la face cachée de son fils. Au fond, elle ne connaissait qu’une partie de lui. Elle ne savait rien de son amie Nazrin, rien de son appartement à Barcelone, rien des voyages qui l’avaient notamment mené au Mozambique – le deuxième pays de Henning Mankell. Henrik avait compartimenté sa vie avec le même soin maniaque qu’il protégeait les données dans son ordinateur. Personne n’avait de lui une vue d’ensemble, pas même son père avec lequel il était resté en contact malgré les distances. Pas même Lucinda, qu’il a connue à Maputo – et à laquelle, sans le savoir, il a transmis le sida.
Henrik est un mystère que Louise veut percer pour comprendre ce qu’il avait appris et qui l’a mis en danger de mort. Archéologue, elle a l’habitude d’assembler des tessons de poteries pour retrouver leur forme originelle. Mais cette poterie-ci est plus complexe que le résultat de ses fouilles en Grèce. Elle est faite de chair et de sang, de vie et de mort.
De longs détours entraînent Louise vers l’Australie, l’Espagne, le Mozambique… Les pièces du puzzle sont éparses. Une des clefs de l’énigme est Le cerveau de Kennedy, dans la disparition duquel Henrik voyait le symbole de tout ce qu’il est possible de cacher. Il a cherché la vérité dans l’obscurité et, malheureusement pour lui, il l’a trouvée dans le cadre de recherches médicales qui ont tout oublié du respect de la vie. Une réflexion, qui revient deux fois dans le roman, résume avec précision l’écart qui sépare les pays riches de l’Afrique: «nous savons tout de la façon de mourir des Africains, et presque rien de leur façon de vivre». Elle est, d’une certaine manière, au point de départ d’un malentendu qui dérape et autorise l’amoralité de certaines sociétés pharmaceutiques. John le Carré en avait aussi fait un sujet de roman dans La constance du jardinier. Henning Mankell, sur un thème proche, donne le portrait d’une mère courage dont l’amour et la volonté de savoir resteront dans les mémoires.

lundi 15 mars 2010

Zapculture : Jean Ferrat et les vivants

J'aimerais que ça ne devienne pas une habitude. Ça ne m'amuse pas trop, d'ouvrir Zapculture (téléchargeable en suivant le lien sur l'image) avec la voix d'un disparu. Je me voyais pourtant mal ne pas rendre un bref hommage à Jean Ferrat, mort samedi. Ce qui vous permet d'écouter (de réécouter, je suppose) le début de La montagne, un de ses plus grands succès, sinon son plus grand (0'25"-1'53").

Takeshi Kitano, lui, est bien vivant. Et très présent dans l'actualité puisque trois événements le portent, ces jours-ci, à l'avant de la scène - ce qui ne doit pas le déranger outre mesure, puisqu'il est aussi, entre autres choses, acteur et animateur de télévision. Son nouveau film, Achille et la tortue, vient de sortir. Dernier volet d'une trilogie consacrée à l'art - et en particulier à l'artiste qu'il est - avec un clin d'œil à Zénon sur le paradoxe duquel repose la structure du film. Il expose ses peintures jusqu'au 12 septembre à la Fondation Cartier, sous le titre: Gosse de peintre. Et une rétrospective de son œuvre cinématographique se tient jusqu'au 21 juin au Centre Pompidou. L'émission Tout arrive (France Culture) l'a interviewé (1'53"-4'27").

Dans la même émission (et le même jour, d'ailleurs, c'était jeudi), Dee Dee Bridgewater était de passage pour présenter son nouvel album, Eleanora Fagan (1917-1959): To Billie With Love From Dee Dee. La plus francophile des chanteuses de jazz, comme on l'appelle souvent, parle donc en français de Billie Holiday à qui elle rend hommage dans ce disque. Elle avait découvert sa voix et sa musique en 1986 - l'année de son installation à Paris - en jouant son rôle dans Lady Day. Comme elle le raconte ici, elle n'avait pas été conquise d'emblée (4'27"-6'36").

C'est dans Laissez-vous tenter (RTL) que j'ai "repiqué" un bout d'entretien avec un auteur de polars best-seller depuis des années (6'36"-7'18"). Chaque fois qu'un roman de Harlan Coben est traduit, il grimpe très vite dans les listes de meilleures ventes. C'est pareil quand un titre est réédité au format de poche. Il vient de publier une nouvelle aventure de son héros récurrent, Myron Bolitar, un ancien sportif devenu agent qui a aussi travaillé pour le FBI. Sans laisser d'adresse est le neuvième volume de ses aventures.
"De Paris à New York en passant par Londres et la Nouvelle-Angleterre, entre services secrets, réseaux terroristes et scientifiques corrompus, une machination infernale orchestrée par un Harlan Coben au sommet de son art. Ancien sportif reconverti dans les relations publiques, Myron tombe des nues quand il reçoit l'appel de Terese, dont il est sans nouvelles depuis sept ans. "Rejoins-moi. Fais vite..." À peine arrivé à Paris, le cauchemar commence... Qui en veut à la vie de Terese? Quels secrets lui a-t-elle cachés? Pourquoi le Mossad, Interpol et la CIA les traquent-ils sans relâche? Enlèvements, meurtres, menace islamiste, manipulations génétiques, complots internationaux... Un suspense au coeur d'une actualité brûlante, par le maître de vos nuits blanches."

J'aime beaucoup Thomas Gunzig. Ses livres. Le bonhomme. Les chroniques qu'il tient dans le journal où je travaille moi aussi. J'ai donc été très heureux de l'entendre l'autre jour dans Mauvais genre (France Culture), dont je vous propose la présentation (l'émission peut encore s'écouter sur le site, comme c'est le cas de presque toutes celles dont je reprends des extraits):
"Rencontre, ce soir, dans Mauvais Genres, avec l'écrivain bruxellois Thomas Gunzig, et ce à l'occasion de publications récentes parues aux éditions Au diable vauvert: Assortiment pour une vie meilleure, recueil de nouvelles, de monologues et de textes dramatiques maniant avec une verve experte humour noir et critique incendiaire de la vie familiale, sociale et politique; 10.000 litres d'horreur pure, hommage au cinéma fantastique et horrifique contemporain."
Mais, dans le passage que j'ai choisi, il parle d'un métier que nous avons pratiqué tous les deux (bien que pas en même temps, ni dans le même établissement): librairie. Une leçon de modestie pour un écrivain (7'18"-7'57").

Enfin, grâce à Laissez-vous tenter, anticipons un peu le mois d'avril, au début duquel sortira un nouveau disque d'Alain Souchon. Enregistré en public lors de sa dernière tournée, il affirme très simplement dans son titre: Est chanteur. (Au cas où nous ne le saurions pas...)
Depuis trente-cinq ans qu'il nous en...chante, on éprouve toujours le même plaisir à le retrouver. Le voici donc (7'57"-9'32").

Bonne écoute, et à la semaine prochaine si tout va bien.

vendredi 12 mars 2010

Le Goncourt des Lycéens 2008 en poche

Le prix Goncourt des Lycéens 2008 est paru en poche. Un brillant avenir, de Catherine Cusset, est un excellent roman, à découvrir absolument.
Elena a changé de prénom. Le sien lui rappelait trop douloureusement celui de l’épouse de Ceausescu et les conditions de vie qu’elle avait connu sous la dictature roumaine. Elle s’appelle maintenant Helen, elle est américaine. Le rêve s’est accompli, non sans mal. Et avec quelques zones grises.
La géographie européenne a joué un rôle capital dans la première partie de sa vie. Enfant, en 1941, elle vivait, croit-elle se souvenir, à la campagne avant de s’installer en ville avec sa grand-mère, chez son oncle et sa tante. Son pays, la Bessarabie, était l’enjeu d’un conflit local noyé dans la guerre mondiale, entre l’URSS et la Roumanie. La fuite vers la Roumanie, la patrie correspondant à leur langue et à leur culture, devenait nécessaire. Ainsi que, pour simplifier les choses dans la société, une adoption par l’oncle et la tante qui la fait changer de nom de famille en provoquant chez la petite fille une crise d’identité: «Elle ne voulait pas dire qu’on venait de l’adopter, qu’elle n’avait pas de parents, qu’elle n’était personne.»
En 1958, elle a vingt-deux ans, elle rencontre Jacob dont elle tombe amoureuse. Il est juif et c’est un drame. Une partie de la famille de Jacob se trouve en Israël et les parents d’Elena sont convaincus qu’il voudra les rejoindre un jour, pour le malheur de leur fille…
Pour respecter la manière dont Catherine Cusset bouleverse la chronologie, sautant sans cesse à travers les époques de 1941 à 2006, il faut placer ici l’écho de ce refus parental, retrouvé une trentaine d’années après, quand Helen utilise le même raisonnement pour tenter d’éloigner Marie de son fils Alex: vous êtes française, votre famille est là-bas, un jour, vous voudrez y vivre et vous rendrez mon fils malheureux… Une génération plus tôt, l’histoire complexe de cette famille avait déjà proposé une situation comparable.
Catherine Cusset, si elle rompt avec la linéarité du récit, trouve une autre logique dans des rapprochements à travers les époques. Et, de toute manière, la fluidité de son écriture, la force des séquences présentes dans chaque chapitre, permettent au lecteur de ne jamais perdre le fil.
Ce fil abandonne la Roumanie pour Israël en 1974, puisque Elena et Jacob se sont mariés et qu’ils ont l’intention d’émigrer vers les Etats-Unis après ce détour. Le projet semble devoir échouer, puis il rebondit en passant par l’Italie. En 1975, la destination finale est enfin atteinte.
Jacob et Helen vieillissent, surtout le premier. Les ennuis de santé se multiplient, Alzheimer menace, la vie devient de plus en plus difficile. En 2003 – c’est le premier chapitre du roman –, alors que Helen est fatiguée de voir Jacob renoncer au moindre effort, celui-ci lâche prise définitivement. Une page se tourne, une de plus dans une existence soumise à bien des souffrances.
En 2006, Helen s’est réconciliée avec Marie. Son fils ne l’oublie pas. Sa petite-fille Camille l’enchante. Chaque malheur semble être contrebalancé par un bonheur. Et cette femme épanouie quitte le roman sur la pointe des pieds en allumant une cigarette.
Catherine Cusset a fait d’elle un personnage complet. Fille, amante, épouse et mère, finalement veuve (ce sont les titres des quatre parties du livre), Helen possède une vitalité peu commune. Elle traverse l’espace et le temps avec force, surtout quand elle trouve devant elle une opposition qui renforce sa volonté: ses parents qui ne veulent pas la voir épouser Jacob, le régime Ceausescu, les difficultés pour émigrer, Marie, la faiblesse de Jacob… Si elle est parfois ébranlée, elle relève toujours la tête et continue à aller de l’avant.
Son obstination la rend certes parfois presque désagréable. On a du mal à accepter, par exemple, sa haine envers sa future belle-fille. Mais elle est tout cela à la fois, Helen, et voilà pourquoi, si humaine, elle nous semble si proche.

jeudi 11 mars 2010

Histoire de ma vie en ligne (pas la mienne, celle de Casanova)

L'acquisition a fait grand bruit il y a quelques semaines: la Bibliothèque nationale de France a acheté des manuscrits de Casanova, dont les 3700 pages des Mémoires, rédigées en français et révisées de 1789 à 1798. Il existe, semble-t-il, un seul exemplaire de ce manuscrit intitulé Histoire de ma vie.
L'achat, comme il se doit, s'agissant de l'œuvre d'un aventurier séducteur, comporte des pans mystérieux.
Un rendez-vous a été organisé en 2007 par l'intermédiaire de l'ambassadeur d'Allemagne dans la zone de fret de l'aéroport de Zurich, où Bruno Racine découvre une dizaine de boîtes contenant les manuscrits.
On se croirait dans un roman d'espionnage...
Le temps de rassembler les fonds - deux ans, quand même, avec la participation d'une entreprise financière qui a demandé à rester anonyme (le roman d'espionnage continue) -, l'affaire s'est conclue et, le 18 février dernier, Frédéric Mitterrand signait l'acte de vente.
De la BNF à Gallica, il n'y avait plus qu'un pas... franchi à toute vitesse puisque les deux premiers chapitres du manuscrit sont maintenant disponibles sur le site. Je connais des amateurs qui bavent déjà...
Voici les liens vers le chapitre I et le chapitre II de ce document.
Et la première page vous est offerte ci-dessous.