mercredi 25 mars 2009

Un, parmi beaucoup d'autres

Depuis des semaines, il y a des dizaines de livres dont je voudrais vous parler. Je n'exagère pas: des dizaines. Les Livres du Soir, où je publie l'essentiel de mes articles, se sont consacrés pour deux numéros à la Foire du Livre de Bruxelles, d'abord avec des écrivains belges, ensuite avec d'autres auteurs qui y étaient invités. La semaine suivante fut mexicaine, dans la foulée du Salon du Livre de Paris. Et vendredi prochain, ce sera le festival littéraire Passa Porta à Bruxelles. Sans oublier une série d'articles sur des polars qui se déroulent dans des villes précises, en raison d'une opération dont je vous passe les détails.
Tout cela fait un gros paquet de lectures "obligatoires", ainsi que de découvertes inattendues, que je vais parfois chercher dans des ouvrages parus il y a quelque temps.
Je ne peux pas tout vous raconter aujourd'hui. Il va être l'heure de passer à table, et il me reste deux livres de Zoé Valdés à lire entre cet après-midi et demain matin (je les ai commencés, j'espère en reparler).
Un mot, quand même, de Chucho, un excellent roman de Grégoire Polet, auteur que je suis depuis ses débuts.

Il a onze ans. Il dit qu’il en a treize. Il est déjà un dur à cuire, même s’il garde certaines réactions d’un enfant pas encore tout à fait abîmé par l’existence telle qu’il la mène. Dans un quartier populaire de Barcelone, sous la chaleur du mois d’août, Chucho entre en scène chez Dumbre, une grosse vieille dont la seule occupation est de veiller sur une lampe à huile qui ne s’est pas éteinte depuis douze ans (« T’étais pas né »). Il joue au ballon avec ses copains Baltasar et Toni. Chucho est fier de ses chaussures Nike Air Max. Moins fier d’apprendre que la Polaca est morte, déchirée au couteau. Il fait mine de ne pas la connaître, bien qu’elle lui ait offert les chaussures. Cela sent les problèmes à venir…
Le milieu où Chucho essaie de grandir est rude. Les macs y font la loi, les putes dérouillent. Les enfants aussi, parfois. Il n’en a pas vraiment conscience. « Pour Chucho, Barcelone n’est pas une ville. Puisqu’il n’en connaît pas d’autre, qu’il n’a jamais vu de village ni la campagne. (…) Pour Chucho, Barcelone, c’est, sans question, la réalité. » Et il faut faire avec cette réalité. A moins de convaincre Hans, qui se fait appeler Braco, de l’emmener à New York où il part s’installer. Hans semble éprouver de l’affection pour Chucho, mais c’est peut-être seulement parce que le gamin lui a présenté Polaca – sans passer par son souteneur, d’où les ennuis qui s’annoncent. Chucho doit obtenir un passeport, une autorisation parentale, un visa. Puis il pourra partir. Les papiers ne sont pas un problème, tout se fabrique, et les parents s’inventent. Encore faut-il que Hans accepte, c’est une autre histoire.
Court, enlevé comme une chanson qui passe et qu’on n’oublie pas, le quatrième roman de Grégoire Polet rhabille Oliver Twist à la mode d’aujourd’hui et sans misérabilisme. Mais avec une verve qui rend les descriptions aussi précises que les images d’un film.
On est à la fois dans la tête de Chucho et dans le décor qui l’entoure. Il vit à toute allure une histoire qui dure vingt-quatre heures d’un équilibre instable, sans cesse sur le point de basculer vers le meilleur ou le pire. « Sur la Grand Via, ses semelles le portent. Les vélos volent près de lui comme des libellules, les voitures comme des avions, les motos comme des fusées. La chaleur s’est adoucie, le ciel a foncé, le soleil est bas, moelleux, et la lune, précoce et mangée, a fait son apparition de filigrane. »
Les éléments du récit sont mis en place avec un naturel qui dénote une science affûtée chez l’auteur de Leurs vies éclatantes. On le savait doué. Il confirme sa maîtrise de l’espace et du temps avec ce livre où chaque chose vient à son heure, complétant le tableau jusqu’à nous le présenter aussi bien dans sa totalité que dans ses moindres détails. Chucho n’est mince qu’en apparence. Il a en réalité l’épaisseur d’une jeune vie accidentée, promise sans aucun doute à d’autres accidents encore, que le romancier n’a pas besoin de raconter pour nous les faire pressentir.

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