mercredi 4 mars 2009

Le printemps des poètes / 3


Stéphane Mallarmé

(1842-1898)


Salut

Rien, cette écume, vierge vers
À ne désigner que la coupe ;
Telle loin se noie une troupe
De sirènes mainte à l’envers.

Nous naviguons, ô mes divers
Amis, moi déjà sur la poupe
Vous l’avant fastueux qui coupe
Le flot de foudres et d’hivers ;

Une ivresse belle m’engage
Sans craindre même son tangage
De porter debout ce salut

Solitude, récif, étoile
À n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile.

L'azur
De l’éternel Azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs,
Le poëte impuissant qui maudit son génie
À travers un désert stérile de Douleurs.

Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde
Avec l’intensité d’un remords atterrant,
Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ?

Brouillards, montez ! versez vos cendres monotones
Avec de longs haillons de brume dans les cieux
Que noiera le marais livide des automnes,
Et bâtissez un grand plafond silencieux !

Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse
En t’en venant la vase et les pâles roseaux,
Cher Ennui, pour boucher d’une main jamais lasse
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux.

Encor ! que sans répit les tristes cheminées
Fument, et que de suie une errante prison
Éteigne dans l’horreur de ses noires traînées
Le soleil se mourant jaunâtre à l’horizon !

— Le Ciel est mort. — Vers toi, j’accours ! donne, ô matière,
L’oubli de l’Idéal cruel et du Péché
À ce martyr qui vient partager la litière
Où le bétail heureux des hommes est couché,

Car j’y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée
Comme le pot de fard gisant au pied d’un mur,
N’a plus l’art d’attifer la sanglotante idée,
Lugubrement bâiller vers un trépas obscur…

En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante
Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa victoire méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angelus !

Il roule par la brume, ancien et traverse
Ta native agonie ainsi qu’un glaive sûr ;
Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?
Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur !

Le Tombeau d’Edgar Poe

Tel qu’en Lui-même enfin l’éternité le change,
Le Poëte suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n’avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange !

Eux, comme un vil sursaut d’hydre oyant jadis l’ange
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu
Proclamèrent très haut le sortilège bu
Dans le flot sans honneur de quelque noir mélange.

Du sol et de la nue hostiles, ô grief !
Si notre idée avec ne sculpte un bas-relief
Dont la tombe de Poe éblouissante s’orne

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur
Que ce granit du moins montre à jamais sa borne
Aux noirs vols du Blasphème épars dans le futur.

(Texte édité par Wikisource)

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