jeudi 12 mars 2009

Le printemps des poètes / 11

Victor Hugo
(1802-1885)


PARIS BLOQUE
O ville, tu feras agenouiller l'histoire.
Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire.
Mais non, tu ne meurs pas. Ton sang coule, mais ceux
Qui voyaient César rire en tes bras paresseux,
S'étonnent: tu franchis la flamme expiatoire,
Dans l'admiration des peuples, dans la gloire,
Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds.
Ceux qui t'assiègent, ville en deuil, tu les conquiers.
La prospérité basse et fausse est la mort lente;
Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante.
Tu sors, toi qu'endormit l'empire empoisonneur,
Du rapetissement de ce hideux bonheur.
Tu t'éveilles déesse et chasses le satyre.
Tu redeviens guerrière en devenant martyre;
Et dans l'honneur, le beau, le vrai, les grandes mœurs,
Tu renais d'un côté quand de l'autre tu meurs.

NOS MORTS
Ils gisent dans le champ terrible et solitaire.
Leur sang fait une mare affreuse sur la terre;
Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert;
Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert,
Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes
Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes;
Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant;
La neige les modèle avec son linceul blanc;
On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée,
Tâche encor de chasser quelqu'un à coups d'épée;
Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard;
Sur l'immobilité de leur sommeil hagard
Les nuits passent; ils ont plus de chocs et de plaies
Que les suppliciés promenés sur des claies;
Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi
Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre;
Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre,
Sont comme ceux auxquels Ézéchiel parlait;
On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet,
La balafre du sabre et le trou de la lance;
Le vaste vent glacé souffle sur ce silence;
Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux.

O morts pour mon pays, je suis votre envieux.

BETISE DE LA GUERRE
Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
O buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie,
Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit,
Où flotte une clarté plus noire que la nuit,
Folle immense, de vent et de foudres armée,
A quoi sers−tu, géante, à quoi sers−tu, fumée,
Si tes écroulements reconstruisent le mal,
Si pour le bestial tu chasses l'animal,
Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre,
Défaire un empereur que pour en faire un autre ?
(Extraits de L'année terrible, édition Blackmask Online, disponible chez Ebooks libres & gratuits.)

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