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vendredi 18 décembre 2015

En rayon : Alain Decaux, «Victor Hugo»

A priori, la biographie de Victor Hugo par Alain Decaux n'est pas celle que je conseillerais à quelqu'un qui me demanderait de l'orienter. Mais elle a été rééditée plus souvent et est donc plus facile à trouver en librairie que ma préférée, les trois volumes écrits par Hubert Juin et publiés chez Flammarion - d'ailleurs à peu près en même temps, autour du centième anniversaire de la mort du géant. Si j'avais, à cette époque, rencontré les deux biographes pour les interroger sur leur travail, seul Alain Decaux a eu l'insigne honneur de s'asseoir à côté de moi dans la voiture avec laquelle je le ramenais vers une gare. De Victor Hugo, il ne faudrait pas retenir que les moments grandiloquents. C'est pourtant le ton sur lequel Alain Decaux ouvre son premier chapitre...

J’ai aimé Guernesey, son granit et son sable. Ses prairies qui s’achèvent en plages ; ses vaches qui paissent dans le fracas des vagues ; ses menhirs et ses églises ; ses rhododendrons et ses pommes de terre ; ses tomates en serres ; ses jardins, ses ravins, ses ruisseaux bordés d’autant d’herbe que de varech, ses arbres cernés de sel et de lichen ; ses caps déchiquetés par le vent autant que par la mer. J’ai aimé ses bruyères, ses ajoncs, ses hortensias, ses magnolias, ses orangers en pleine terre ; j’ai aimé les mirages semés par ses rochers, esquisses qui se dérobent dans l’écume, bas-reliefs qui s’affirment par l’agression des flots.
J’ai aimé Saint-Pierre-Port, bâti jadis autour de bois sculptés apportés de Saint-Malo. J’ai aimé cette colline que la ville semble prendre d’assaut, ses maisons comme tassées l’une sur l’autre, espalier de façades blanches ou grises, « Caudebec sur les épaules de Honfleur », disait un voyageur. Surtout, j’ai aimé cette grosse demeure en forme de cube qui domine tout de sa masse sans grâce. Je l’ai aimée parce qu’elle s’appelle Hauteville House.
Pourtant, rien de plus triste que les trois rangs de fenêtres à l’anglaise ouvrant sur la rue. Côté jardin, cela s’harmonise : la porte s’adoucit d’un perron de bois ; au premier étage un atelier vitré, prolongé par une terrasse, rompt la monotonie. Surtout, ce qui frappe, c’est ce balcon, sous le toit, qui court le long de la façade. De ce qui ressemble assez à une dunette de navire, on aperçoit tout Saint-Pierre-Port en bas, au-delà les îles de la Manche, certains jours le Cotentin. La France.
Il est inséparable d’une image, ce balcon : celle d’un homme qui, chaque matin, réveillé dès l’aube par le cri des mouettes et le canon de la citadelle, s’avançait sur les planches à claires-voies. Je le regarde.
Il n’est pas très grand, mais ce qui, au premier coup d’œil, émane de lui, c’est une impression de solidité, de force. Beaucoup de ceux qui l’ont rencontré à cette époque ont, sans se donner le mot, évoqué un vieux chêne. Nous les comprenons. Curieusement vêtu d’un costume de nuit rouge, les cheveux gris en broussaille, le visage creusé, comme fortifié de rides, ce n’est pas le château en pleine eau, là-bas, relié par une digue à la terre, qu’il regarde. C’est vers sa droite que les yeux de Victor Hugo cherchent quelque chose, ces yeux qui savent voir loin – et il en est fier. Il y a là une modeste maison, la Fallue, dont les fenêtres sont à la française, avec de petits carreaux.

samedi 21 mars 2015

Salon du Livre, les écrivains sont de sortie

Porte de Versailles, à Paris, les visiteurs se dirigent vers le pavillon où on a enfermé des écrivains pour quelques jours. Ils sont affalés derrière des piles de leurs derniers livres, grignotent un sandwich entre deux soupirs, avalent discrètement une gorgée de vin. Les politiciens ne viennent pas leurs tâter la croupe, comme ils le font aux vaches du Salon de l’Agriculture. Mais presque… En tout cas, on sort les auteurs des placards où ils ruminent leurs mots et, l’espace d’une manifestation qui n’a pas que ses défenseurs, on en parle.
Mais s’agit-il de littérature ? François Bégaudeau et Iegor Gran, qui viennent tous deux de publier des romans où il est question de la vie des écrivains, en doutent dans L’Obs de cette semaine qui les a rassemblés. « Ce n’est pas une expérience agréable », dit Gran, tandis que Bégaudeau nuance : « C’est amusant à regarder, cette grande foire. »
La presse rivalise d’inventivité – ou de redites – pour marquer l’événement. Jeudi, le Figaro littéraire publiait un sondage « exclusif » qui, avant l’échéance électorale de dimanche, était pour une fois étranger à tout ce qui porte des sigles en guise de noms (UMP, PS, FN, UMPS, FNPS, on en oublie). Il s’agissait de savoir quels sont les écrivains préférés des Français.
Sans grande surprise, chez nos contemporains, c’est un des auteurs aux plus gros tirages qui a été choisi : Marc Levy. Il se dit « à la fois très ému, touché, surpris et heureux. » Son principal concurrent en chiffres de ventes, Guillaume Musso, n’arrive qu’en troisième position, précédé par l’inoxydable Jean d’Ormesson – qui entre le mois prochain dans la Bibliothèque de la Pléiade. Et puis, on trouve Max Gallo, Amélie Nothomb, Michel Houellebecq, Fred Vargas, etc. Le Figaro a aussi sondé les Français sur leurs écrivains classiques préférés. Victor Hugo garde la prééminence, d’une courte tête devant Marcel Pagnol que suivent Jules Verne, Emile Zola, Guy de Maupassant… Victor Hugo a préféré ne pas réagir, ou aucune table tournante n’a pu être trouvée pour entrer en communication avec lui.
Depuis 1987, Libération demande à des écrivains de rédiger le journal du jour précédant l’ouverture du Salon du Livre. Ils sont 37 à s’y être collé cette année. Aucun d’entre eux n’est dans la liste des écrivains préférés des Français. Aucun d’entre eux ne s’attendait non plus à la brutalité de ce qui allait survenir dans l’après-midi de mercredi : l’assaut, par un commando terroriste, du musée du Bardo à Tunis. C’est là où l’écrivain se révèle journaliste. D’autant plus aisément qu’il l’est parfois, comme l’Algérien Kamel Daoud. Leila Slimani, qui a écrit un roman nymphomaniaque (Dans le jardin de l’ogre), l’est aussi. Et Olivier Guez, le seul des trois à n’être pas originaire d’Afrique du Nord. L’actualité brûlante est pour eux et ils s’en sortent bien.
Mieux, en tout cas, que Sylvie Granotier, empêtrée dans une rencontre imprévue avec le ministre de l’Intérieur de passage dans les locaux de Libération (qui sont, depuis la reparution de Charlie Hebdo, l’abri provisoire de l’équipe réalisant cet hebdomadaire) – mais c’est souvent drôle quand les choses fonctionnent moins bien que prévu, et c’est le cas.

Oui, les écrivains sont de sortie. Pas trop longtemps : ils ont des livres à écrire !
Et, si vous avez l'ambition de réussir une carrière littéraire, un Manuel du plus que parfait arriviste littéraire est paru il y a quelques jours, qui semble avoir été écrit pour vous... il y a cent ans et des poussières.

jeudi 12 mars 2009

Le printemps des poètes / 11

Victor Hugo
(1802-1885)


PARIS BLOQUE
O ville, tu feras agenouiller l'histoire.
Saigner est ta beauté, mourir est ta victoire.
Mais non, tu ne meurs pas. Ton sang coule, mais ceux
Qui voyaient César rire en tes bras paresseux,
S'étonnent: tu franchis la flamme expiatoire,
Dans l'admiration des peuples, dans la gloire,
Tu retrouves, Paris, bien plus que tu ne perds.
Ceux qui t'assiègent, ville en deuil, tu les conquiers.
La prospérité basse et fausse est la mort lente;
Tu tombais folle et gaie, et tu grandis sanglante.
Tu sors, toi qu'endormit l'empire empoisonneur,
Du rapetissement de ce hideux bonheur.
Tu t'éveilles déesse et chasses le satyre.
Tu redeviens guerrière en devenant martyre;
Et dans l'honneur, le beau, le vrai, les grandes mœurs,
Tu renais d'un côté quand de l'autre tu meurs.

NOS MORTS
Ils gisent dans le champ terrible et solitaire.
Leur sang fait une mare affreuse sur la terre;
Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert;
Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert,
Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes
Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes;
Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant;
La neige les modèle avec son linceul blanc;
On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée,
Tâche encor de chasser quelqu'un à coups d'épée;
Ils n'ont pas de parole, ils n'ont pas de regard;
Sur l'immobilité de leur sommeil hagard
Les nuits passent; ils ont plus de chocs et de plaies
Que les suppliciés promenés sur des claies;
Ils s'enfoncent déjà dans la terre à demi
Comme dans l'eau profonde un navire qui sombre;
Leurs pâles os, couverts de pourriture et d'ombre,
Sont comme ceux auxquels Ézéchiel parlait;
On voit partout sur eux l'affreux coup du boulet,
La balafre du sabre et le trou de la lance;
Le vaste vent glacé souffle sur ce silence;
Ils sont nus et sanglants sous le ciel pluvieux.

O morts pour mon pays, je suis votre envieux.

BETISE DE LA GUERRE
Ouvrière sans yeux, Pénélope imbécile,
Berceuse du chaos où le néant oscille,
Guerre, ô guerre occupée au choc des escadrons,
Toute pleine du bruit furieux des clairons,
O buveuse de sang, qui, farouche, flétrie,
Hideuse, entraîne l'homme en cette ivrognerie,
Nuée où le destin se déforme, où Dieu fuit,
Où flotte une clarté plus noire que la nuit,
Folle immense, de vent et de foudres armée,
A quoi sers−tu, géante, à quoi sers−tu, fumée,
Si tes écroulements reconstruisent le mal,
Si pour le bestial tu chasses l'animal,
Si tu ne sais, dans l'ombre où ton hasard se vautre,
Défaire un empereur que pour en faire un autre ?
(Extraits de L'année terrible, édition Blackmask Online, disponible chez Ebooks libres & gratuits.)