A priori, la biographie de Victor Hugo par Alain Decaux n'est pas celle que je conseillerais à quelqu'un qui me demanderait de l'orienter. Mais elle a été rééditée plus souvent et est donc plus facile à trouver en librairie que ma préférée, les trois volumes écrits par Hubert Juin et publiés chez Flammarion - d'ailleurs à peu près en même temps, autour du centième anniversaire de la mort du géant. Si j'avais, à cette époque, rencontré les deux biographes pour les interroger sur leur travail, seul Alain Decaux a eu l'insigne honneur de s'asseoir à côté de moi dans la voiture avec laquelle je le ramenais vers une gare. De Victor Hugo, il ne faudrait pas retenir que les moments grandiloquents. C'est pourtant le ton sur lequel Alain Decaux ouvre son premier chapitre...
J’ai aimé Guernesey, son granit et son sable. Ses prairies qui s’achèvent en plages ; ses vaches qui paissent dans le fracas des vagues ; ses menhirs et ses églises ; ses rhododendrons et ses pommes de terre ; ses tomates en serres ; ses jardins, ses ravins, ses ruisseaux bordés d’autant d’herbe que de varech, ses arbres cernés de sel et de lichen ; ses caps déchiquetés par le vent autant que par la mer. J’ai aimé ses bruyères, ses ajoncs, ses hortensias, ses magnolias, ses orangers en pleine terre ; j’ai aimé les mirages semés par ses rochers, esquisses qui se dérobent dans l’écume, bas-reliefs qui s’affirment par l’agression des flots.
J’ai aimé Saint-Pierre-Port, bâti jadis autour de bois sculptés apportés de Saint-Malo. J’ai aimé cette colline que la ville semble prendre d’assaut, ses maisons comme tassées l’une sur l’autre, espalier de façades blanches ou grises, « Caudebec sur les épaules de Honfleur », disait un voyageur. Surtout, j’ai aimé cette grosse demeure en forme de cube qui domine tout de sa masse sans grâce. Je l’ai aimée parce qu’elle s’appelle Hauteville House.
Pourtant, rien de plus triste que les trois rangs de fenêtres à l’anglaise ouvrant sur la rue. Côté jardin, cela s’harmonise : la porte s’adoucit d’un perron de bois ; au premier étage un atelier vitré, prolongé par une terrasse, rompt la monotonie. Surtout, ce qui frappe, c’est ce balcon, sous le toit, qui court le long de la façade. De ce qui ressemble assez à une dunette de navire, on aperçoit tout Saint-Pierre-Port en bas, au-delà les îles de la Manche, certains jours le Cotentin. La France.
Il est inséparable d’une image, ce balcon : celle d’un homme qui, chaque matin, réveillé dès l’aube par le cri des mouettes et le canon de la citadelle, s’avançait sur les planches à claires-voies. Je le regarde.
Il n’est pas très grand, mais ce qui, au premier coup d’œil, émane de lui, c’est une impression de solidité, de force. Beaucoup de ceux qui l’ont rencontré à cette époque ont, sans se donner le mot, évoqué un vieux chêne. Nous les comprenons. Curieusement vêtu d’un costume de nuit rouge, les cheveux gris en broussaille, le visage creusé, comme fortifié de rides, ce n’est pas le château en pleine eau, là-bas, relié par une digue à la terre, qu’il regarde. C’est vers sa droite que les yeux de Victor Hugo cherchent quelque chose, ces yeux qui savent voir loin – et il en est fier. Il y a là une modeste maison, la Fallue, dont les fenêtres sont à la française, avec de petits carreaux.
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