Je lis beaucoup de bêtises sur certains blogs (et, sur d'autres, beaucoup de choses intelligentes; par ailleurs je lis aussi des bêtises dans la presse - je suis bien mal placé pour m'en prendre aux blogs). Beaucoup d'entre elles sont provoquées par une totale méconnaissance du sujet abordé. Comme celui du premier roman, thème sur lequel se déversent des tombereaux de notes aigres, généralement écrites par celles et ceux qui tentent en vain, parfois depuis longtemps, de faire publier leur premier chef-d'œuvre (car il s'agit toujours d'un chef-d'œuvre, en tout cas ils le pensent, et aussi les amis qui l'ont lu, et la famille, et même d'autres blogueuses ou blogueurs, aigris eux aussi). Tout ça, c'est la faute aux copains et aux coquins qui règnent sur le milieu pourri de l'édition. Où, si vous n'avez pas de relations, ou si vous ne couchez pas, ou si vous n'habitez pas dans le 6ème arrondissement à Paris (mais qui habite encore là?), vous n'avez aucune chance de publier, donc de connaître le succès que mérite votre chef-d'œuvre, et de recevoir les prix littéraires qui vous reviennent, etc., etc.
(Note en passant: il s'agit parfois du quinzième chef-d'œuvre, les quatorze premiers ayant été refusés aussi.)
Un excellent article paru hier dans Le Soir (ce n'est pas moi qui l'ai écrit) me donne l'occasion d'une petite mise au point à propos de la difficulté qu'il y aurait à intégrer ce milieu à la réputation trouble.
Dans Comment on publie un premier roman, Lucie Cauwe s'entretient avec Martine Boutang, qui chez Grasset reçoit de dix à quinze manuscrits chaque jour. Ah! Et qu'en fait-elle, de ces manuscrits? Ben, elle les lit. Complètement? Non, bien sûr. Essayez, vous, de lire dix livres par jour. "Au moins cinq ou six pages de chacun", précise-t-elle.
J'entends d'ici le chœur des grincheux me dire, ou plutôt hurler: Vous voyez bien? Cinq ou six pages? C'est un scandâââle!
Non, ce n'est pas un scandale. Croyez-moi, j'en ai vu passer, des manuscrits, et il suffit souvent de deux paragraphes, voire moins, pour se rendre compte que la plupart d'entre eux n'ont aucun intérêt. (Sauf, bien entendu, pour leur auteur, sa famille, ses amis...)
Et alors? Les copains et les coquins? Je ne vais pas jouer au naïf et faire comme si ça n'existait pas, comme si tous les livres arrivés par relations dans une maison d'édition et qui y sont publiés auraient mérité de l'être. Mais on peut avoir un carnet d'adresses bien rempli et être aussi un excellent écrivain, pourquoi pas? Et, si on ne connaît personne, la filière classique - le fameux envoi par la poste - reste digne de confiance.
Bien sûr, je devine, dans le fond de la classe, les ronchons qui refuseront de croire ce que dit Martine Boutang: "Beaucoup de premiers romans sont arrivés par la poste. J'ai ainsi fait de belles trouvailles: Philippe Grimbert, Jeanne Labrune, Sorj Chalandon, Laurent Binet, Claudie Hunzinger, Elise Fontenaille… Je ne connaissais aucun de ces auteurs avant qu'ils envoient leur manuscrit. Les gens sont incrédules quand on leur dit que les manuscrits qui deviennent des livres arrivent souvent par la poste, mais ils ont tort. Ce sont les aigris non retenus qui parlent de magouilles. Je dirais même que je lis plus vite le roman d'un inconnu que celui qui m'est recommandé."
Pourtant, je suis certain qu'elle dit la vérité. Aucune maison d'édition, et surtout les grandes (contrairement à ce qu'on entend souvent), ne voudrait manquer l'occasion de découvrir un nouvel auteur de talent. Je suis certain aussi que c'est un crève-cœur pour elle quand le comité de lecture refuse un manuscrit qu'elle a aimé et soutenu, puis... qu'elle le voit paraître ailleurs.
La rentrée littéraire étant un moment particulier pour la sortie de premiers romans, on les compte. Il y en avait 85 cette année dans le domaine français. J'en ai lu une quinzaine. Aucun n'est médiocre, aucun n'a non plus provoqué de véritable choc (je suis peut-être mal tombé). Sauf un, Ego tango, de Caroline De Mulder.
Car que demande-t-on à un auteur jusqu'alors inconnu? Qu'il vous emporte, que sa voix tranche avec celle des dizaines d'autres publiés en même temps que lui, que son écriture retienne l'attention (au-delà de cinq ou six pages, cela va de soi). Il y a dans ce livre toutes les promesses fournies par ces caractéristiques finalement assez rares.
Il y est question, le titre ne ment pas, d'une vie tango, d'une véritable dépendance à l'atmosphère singulière générée par les lieux où se pratique le tango, à la fatigue des gestes répétés jusqu'au bout de la nuit, à la marginalisation qu'entraîne toute activité qui vous bouffe l'esprit et les tripes. Ce roman m'a entraîné par son mouvement.
Quant à savoir si Caroline De Mulder construira une œuvre après sa brillante entrée en matière, c'est une autre histoire. J'ai lu quelque part qu'elle avait elle-même été, au moins par rapport à la danse, dans la situation de son héroïne. Et qu'elle transcrit donc, en partie, des sensations vécues - mais avec un énorme travail qui transforme la réalité en littérature. Je me demande donc si le passage, souvent difficile, au deuxième roman, existera pour elle. On en reparlera (peut-être).
(Note en passant: il s'agit parfois du quinzième chef-d'œuvre, les quatorze premiers ayant été refusés aussi.)
Un excellent article paru hier dans Le Soir (ce n'est pas moi qui l'ai écrit) me donne l'occasion d'une petite mise au point à propos de la difficulté qu'il y aurait à intégrer ce milieu à la réputation trouble.
Dans Comment on publie un premier roman, Lucie Cauwe s'entretient avec Martine Boutang, qui chez Grasset reçoit de dix à quinze manuscrits chaque jour. Ah! Et qu'en fait-elle, de ces manuscrits? Ben, elle les lit. Complètement? Non, bien sûr. Essayez, vous, de lire dix livres par jour. "Au moins cinq ou six pages de chacun", précise-t-elle.
J'entends d'ici le chœur des grincheux me dire, ou plutôt hurler: Vous voyez bien? Cinq ou six pages? C'est un scandâââle!
Non, ce n'est pas un scandale. Croyez-moi, j'en ai vu passer, des manuscrits, et il suffit souvent de deux paragraphes, voire moins, pour se rendre compte que la plupart d'entre eux n'ont aucun intérêt. (Sauf, bien entendu, pour leur auteur, sa famille, ses amis...)
Et alors? Les copains et les coquins? Je ne vais pas jouer au naïf et faire comme si ça n'existait pas, comme si tous les livres arrivés par relations dans une maison d'édition et qui y sont publiés auraient mérité de l'être. Mais on peut avoir un carnet d'adresses bien rempli et être aussi un excellent écrivain, pourquoi pas? Et, si on ne connaît personne, la filière classique - le fameux envoi par la poste - reste digne de confiance.
Bien sûr, je devine, dans le fond de la classe, les ronchons qui refuseront de croire ce que dit Martine Boutang: "Beaucoup de premiers romans sont arrivés par la poste. J'ai ainsi fait de belles trouvailles: Philippe Grimbert, Jeanne Labrune, Sorj Chalandon, Laurent Binet, Claudie Hunzinger, Elise Fontenaille… Je ne connaissais aucun de ces auteurs avant qu'ils envoient leur manuscrit. Les gens sont incrédules quand on leur dit que les manuscrits qui deviennent des livres arrivent souvent par la poste, mais ils ont tort. Ce sont les aigris non retenus qui parlent de magouilles. Je dirais même que je lis plus vite le roman d'un inconnu que celui qui m'est recommandé."
Pourtant, je suis certain qu'elle dit la vérité. Aucune maison d'édition, et surtout les grandes (contrairement à ce qu'on entend souvent), ne voudrait manquer l'occasion de découvrir un nouvel auteur de talent. Je suis certain aussi que c'est un crève-cœur pour elle quand le comité de lecture refuse un manuscrit qu'elle a aimé et soutenu, puis... qu'elle le voit paraître ailleurs.
La rentrée littéraire étant un moment particulier pour la sortie de premiers romans, on les compte. Il y en avait 85 cette année dans le domaine français. J'en ai lu une quinzaine. Aucun n'est médiocre, aucun n'a non plus provoqué de véritable choc (je suis peut-être mal tombé). Sauf un, Ego tango, de Caroline De Mulder.
Car que demande-t-on à un auteur jusqu'alors inconnu? Qu'il vous emporte, que sa voix tranche avec celle des dizaines d'autres publiés en même temps que lui, que son écriture retienne l'attention (au-delà de cinq ou six pages, cela va de soi). Il y a dans ce livre toutes les promesses fournies par ces caractéristiques finalement assez rares.
Il y est question, le titre ne ment pas, d'une vie tango, d'une véritable dépendance à l'atmosphère singulière générée par les lieux où se pratique le tango, à la fatigue des gestes répétés jusqu'au bout de la nuit, à la marginalisation qu'entraîne toute activité qui vous bouffe l'esprit et les tripes. Ce roman m'a entraîné par son mouvement.
Quant à savoir si Caroline De Mulder construira une œuvre après sa brillante entrée en matière, c'est une autre histoire. J'ai lu quelque part qu'elle avait elle-même été, au moins par rapport à la danse, dans la situation de son héroïne. Et qu'elle transcrit donc, en partie, des sensations vécues - mais avec un énorme travail qui transforme la réalité en littérature. Je me demande donc si le passage, souvent difficile, au deuxième roman, existera pour elle. On en reparlera (peut-être).
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