Inépuisables faits divers. On croit en avoir fait
le tour et il reste un angle inédit à explorer. Ce que Lionel Shriver
réalise avec une étourdissante puissance romanesque dans son septième
roman, le premier à être traduit en français. Inspiré, nous dit
l'éditeur, par le massacre de Columbine où deux adolescents ont tué
douze lycéens et un professeur, Il faut qu'on parle de Kevin
repose aussi sur une tuerie dans une école. Mais une autre, imaginaire,
située le 8 avril 1999, douze jours avant le drame qui allait pousser
Michael Moore à réaliser Bowling for Columbine, son film contre l'omniprésence des armes à feu aux Etats-Unis.
Kevin, le meurtrier, dira d'ailleurs que les jeunes assassins de
Columbine sont des imitateurs... Tout le cynisme d'un personnage qui
déteste froidement le monde entier est dans cette remarque, préparée par
seize années rigoureuses pendant lesquelles Kevin semble avoir été
l'incarnation du mal, comme sa mère l'a compris bien avant 1999, disant
de lui qu'il est «un petit garçon méchant et dangereux».
L'angle sous lequel Lionel Shriver aborde son sujet, c'est elle, la
mère, Eva. Peut-on avoir engendré un monstre et se regarder encore en
face? Dans de longues lettres adressées à son mari absent - il faut
attendre la fin pour comprendre pourquoi, mais le couple était miné par
la présence de Kevin -, Eva retrace l'ensemble d'un parcours devenu
pénible dès la naissance de leur premier enfant. Tout avait en effet
très mal commencé: refusant de prendre le sein, hurlant pendant des
heures jusqu'au retour de son père, le bébé était déjà insupportable.
Cela arrive. Il arrive aussi que la mère craque et sente monter des
poussées de haine contre ce petit être qu'elle a voulu, mais dont elle
n'imaginait pas à quel point il allait perturber sa vie.
Créatrice de guides de voyages pour routards, Eva a vécu à toute allure,
sautant d'un pays à l'autre, et ne rencontrant Franklin que la
trentaine entamée. Sa réussite est complète, elle est riche, elle a tout
pour être heureuse. Sauf un enfant, la véritable aventure en
comparaison de déplacements au cours desquels elle trouve à peu près
partout la même chose.
Elle ne s'attendait pas à pénétrer sur un territoire à ce point inconnu
qu'il en deviendrait effrayant. Doté d'une intelligence remarquable,
Kevin paraît l'utiliser surtout contre sa mère. Il est vrai qu'elle est
seule, dans le couple, à mesurer l'étendue de la haine qui l'habite.
Tandis que Franklin lui trouve bien des qualités et toutes les excuses,
même dans ses «exploits» les plus violents.
Lorsque Celia, leur fille plus jeune, perd un oeil mis en contact avec
un produit acide, Franklin accuse son épouse de ne pas l'avoir rangé,
contre toute vraisemblance. Et n'imagine pas un instant que Kevin, son
ange sombre mais doué, ait pu torturer sa soeur.
De l'imagination, Kevin en possède à revendre. Il faut voir, même si
cela fait peur, avec quel sens de l'organisation il monte la petite
réunion au cours de laquelle ses victimes désignées seront à portée de
flèches d'arbalète.
Eva remet tous les morceaux du puzzle en place, comme quand elle avait
tapissé son bureau de cartes du monde entier - que Kevin s'était
empressé d'arroser d'encre. A défaut d'elle-même, elle regarde au moins
la vérité en face. Pour découvrir qu'elle est toujours la mère du
monstre et que, malgré tout, l'amour n'a pas été complètement détruit.
Il s'agit là d'un de mes romans préférés, pour la finesse psychologique et la puissance qui s'en dégage (ma critique, si ça vous intéresse, se trouve ici : http://marecages.be/?p=2425). Je me réjouis de pouvoir visualiser le film qui en a été adapté, mais il n'est pas encore diffusé dans les cinémas belges.
RépondreSupprimerImpatiente, je trépigne...
Sortie en Belgique le 19 octobre, il ne faudra plus attendre trop longtemps...
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