«Il
me semble que tous les romans de Philippe Djian parlent de la fin du
monde», écrivait Marie Darrieussecq en préface d'un livre qui s'intitulait précisément La fin du monde. Ce pourrait être aussi, en effet, celui du
roman de Djian réédité en poche, Incidences. Où
le monde ne finit qu’à la dernière page, vers laquelle l’écrivain conduit sans
précipitation, posant un à un les éléments du désastre à venir.
A cinquante-trois ans, Marc enseigne le scénario à
l’université. Il vit à l’écart de la ville dans la même maison que sa sœur
Marianne, célibataire comme lui. Il aime les promenades en forêt et mêler à
l’oxygène la fumée d’une cigarette. Il apprécie certaines de ses étudiantes et
les mettre dans son lit est une pratique qui suscite chez lui la prudence, car
il sait que le moindre écart rendu public lui vaudrait un renvoi. Il n’est pas un
modèle de vertu, comme on voit. Mais cela l’ennuie moins que de découvrir, au
petit matin, le corps froid de Barbara à côté de lui. Elle a vingt-trois ans,
elle vient de s’inscrire à son atelier d’écriture, ils sont rentrés ivres la
veille, dans la petite Fiat 500 de Marc, malgré les dangers de la route le long
de la corniche.
La mort de Barbara, à la troisième page du roman, résonne
comme un coup de gong. Certes, la ligne rouge a été franchie depuis longtemps.
Mais, avec sur les bras un cadavre qu’il s’empresse de faire disparaître dans
une grotte où lui-même a failli tomber un jour, Marc fait exploser les
barrières. Tout donne à penser qu’il n’a pas tué Barbara et qu’il cherche à éviter
les ennuis. Ce qui est la meilleure façon de les attirer.
Incidences se
présente comme un polar où Marc fait face à une enquête sur la disparition de
la jeune fille. La discrétion avec laquelle il séduit ses étudiantes – ou se
laisse séduire par elles – est payante. Les soupçons ne se portent pas sur lui.
Même si Myriam, la mère de Barbara, qui est sans nouvelles de l’Afghanistan où
se trouve son mari, se rapproche de l’enseignant…
L’intrigue principale se met en place et s’enrichit de
pistes annexes sur lesquelles on s’aventure avec crainte si l’on est lucide.
Car Philippe Djian rend rarement plus souriante une situation qui se présente
sous un jour sombre. C’est ainsi qu’à petites touches, il introduit des
renseignements sur le passé de Marc et Marianne, qui ont subi la violence de
leur mère. Le frère, qui a toujours protégé sa sœur, n’a pas brisé le lien
fusionnel dans lequel ils sont enfermés. Au contraire: il s’irrite
vivement de voir Richard Olson, à ses yeux injustement nommé directeur du
département de littérature, manœuvrer pour séduire Marianne. La relation entre les
deux hommes, conflictuelle depuis le début, n’est pas en voie d’apaisement.
L’assaut que mène par ailleurs une autre étudiante peu douée mais décidée à
conquérir Marc place celui-ci dans un état d’esprit d’autant plus ambigu que,
pour la première fois, il est attiré par une femme au-delà de vingt-six ans…
Incidences est un sac d’embrouilles, mais d’une affolante précision. Chaque pièce
est indispensable et à sa place, comme on s’en rendra compte à la fin du roman.
Par ailleurs, celui-ci est également un plaidoyer pour la littérature. Marc,
c’est au moins une chose qu’on ne pensera pas à lui reprocher, considère
l’écriture comme une maîtresse plus exigeante que ses petites étudiantes. Il a
rêvé d’être écrivain, a compris qu’il n’était pas à la hauteur et tient
maintenant «de longs discours sur
le style, sa misère et sa gloire, sur la minutie des choix qui s’imposaient à
chaque instant, sur les différents conflits qui pouvaient éclater à l’intérieur
d’une même phrase, sur les sacrifices qu’il fallait consentir, sur l’absolue
priorité de la langue, le tonus, la résilience, l’affûtage, la nécessité,
l’abandon de soi.» Une leçon qu’applique Philippe Djian.
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