Hokusai a peint Le rêve de la femme du pêcheur: l’étreinte d’une femme et d’une pieuvre qui caresse le corps nu avec ses tentacules, tout en fouillant le sexe du bec. De cette estampe, Patrick Grainville a fait un roman bien dans sa manière, tout de sensualité, cherchant hors piste les émotions les plus vives. La vision de «la jolie veuve Tô» enlacée par une pieuvre géante, provoque chez «le bel adolescent Haruo» (on les appelle toujours ainsi) autant de terreur que de fascination. La jeune femme l’attirait déjà. Il est désormais lié à elle par ce moment auquel elle ignore qu’il a assisté. Il est plus que jamais tendu vers la toison sombre et le gouffre qu’elle cache.
Dans une découverte charnelle menée à pas lents, Patrick Grainville conduit Haruo et Tô vers l’inévitable fusion, d’autant plus intense qu’elle est retardée. Même contrariée. La présence de cette pieuvre, finalement, mêlée au «corps inouï de Tô», n’a pas que des vertus aphrodisiaques. Et Haruo est lui-même trop séduisant pour ne pas attirer l’attention. Celle de Satô, une femme mariée qui ne déteste pas prendre son plaisir hors du foyer conjugal. Celle d’Allan, un chercheur qui est peut-être un espion et au moins, en tout cas, un pilleur d’objets sacrés.
Le désir s’exprime avec une rare puissance entre ces personnages, dans une nature luxuriante et dangereuse. L’île où se déroule le roman est volcanique. La terre, le feu et l’eau composent une partition à la mesure des sens exacerbés. L’air lui-même est chargé d’odeurs qui participent de la perception globale d’un monde organisé pour pousser les êtres les uns vers les autres. Chez Grainville, tout est cohérent, jusqu’aux excès. Peut-être surtout les excès, puisque ses phrases agissent de la peau aux tripes, dans un mélange de préciosité et de matérialité qui en font une sorte de drogue. «Alors, cela fusa de l’arbre, de son dais dédalien, de ses cavernes célestes, de ses boucles, de ses arabesques obèses et de ses lacis les plus sveltes.» La langue du romancier transcrit les images en sons, fait vibrer l’esprit, provoque et agite.
L’univers du Baiser de la pieuvre a quelque chose de magique. Détaché de la vraisemblance – puisque détaché d’un tableau –, cet univers s’impose pourtant selon sa propre logique. Quand l’image d’un peintre qui a influencé Gauguin et Van Gogh s’anime, il faut évidemment s’attendre à des événements hors du commun. Hors du sens commun.
Mais il ne faut surtout pas s’imaginer Grainville en pornographe, si l’on entend par là un écrivain dont le souci principal consisterait à susciter chez les lecteurs le besoin de ne tenir son livre qu’à une main. Car le grand sujet qui traverse luxuriance, désir, sensualité et tout ce dont nous avons parlé, c’est l’amour. Tout bêtement l’amour, oui. Sans aucune niaiserie, faut-il le dire. L’amour comme force suprême qui transcende le reste et lui donne son sens.
Ce roman est génial et à recommander. Sa richesse lexicale, sa sensualité, son atmosphère, deviennent des denrées rares dans la littérature contemporaine. Si vous aimez cela, je vous invite à échanger vos impressions sur mon propre blog, Bazarnaum à Agartha city, où je mets en ligne mes textes et ceux de la poétesse parnassienne Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894, notamment son roman décadent et érotique de tendance saphique "le Trottin", qui fit scandale en 1890.
RépondreSupprimerC'est un roman d'une richesse lexicale rare, d'une sensualité et d'une atmosphère qui détonnent dans les tendances actuelles littéraires. Sa lecture est à recommander pour ceux qui aiment la vraie littérature. Si vous voulez en savoir plus sur ce qu'écrire veut dire, je vous invite à partager vos impressions sur mon blog Bazarnaum à Agartha city, où vous découvrirez mes textes et ceux de la poétesse parnassienne décadente Aurore-Marie de Saint-Aubain (1863-1894), dont le roman érotique et saphique "Le Trottin" fit scandale lors de a publication en 1890.
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