jeudi 8 septembre 2011

Picorée : Félix Fénéon

Je lis beaucoup de livres en commençant par le début et en m'arrêtant une fois tournée la dernière page. Une vieille habitude dont même la lecture sur écran chère à Frédéric Beigbeder (attention, ici, c'est de l'ironie) ne m'a pas détourné.
Il n'empêche. Je picore aussi, et d'abondance. Une page par ci, cinq par là. L'effet est parfois aussi dévastateur. Je tombe sous le charme, je me mets en colère, je cours voir ailleurs parce que trois lignes m'en ont donné l'idée. Que celui qui n'a jamais ouvert un livre pour y découvrir un paragraphe au hasard me jette la première liseuse électronique.

Aujourd'hui, entre deux romans (ceux de Philippe Lançon et de Hervé Le Tellier), je picore donc quelques instants dans Faits divers: 1210 nouvelles en trois lignes, de Félix Fénéon. Publie.net a eu la bonne idée de rééditer ce livre formidable, où l'écrivain se joue du fait divers en l'utilisant comme un matériau plastique, à faire entrer dans la dimension approximative d'un tweet.
Il ne s'agit pas de résumer le fait divers, mais plutôt de le mettre en scène sur un rythme donné, d'en tirer une image unique à partir de laquelle le lecteur fera ce qu'il voudra. Comme sur Twitter, les remords et les corrections sont autorisés. Un exemple, dès les débuts de ces Nouvelles en trois lignes - c'était le titre de la rubrique dont Félix Fénéon était chargé au quotidien Le Matin en 1905 et 1906. On lit ceci:
L’infirmière Élise Bachmann, dont c’était hier le jour de sortie, s’est manifestée folle dans la rue.
Et, un peu plus loin:
Certaine folle arrêtée dans la rue s’était abusivement donnée pour l’infirmière Élise Bachmann. Celle-ci est en parfaite santé.
C'est parfois tragique, souvent drôle. Le monde est ainsi fait qu'il regorge d'histoires, dont un romancier tirerait trois cents pages et dont Félix Fénéon faisait trois lignes agiles. Une gourmandise à déguster par petits morceaux, mais digne aussi d'un vrai grand repas complet. Toute l'humanité est ici.

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