Je regarde avec plaisir les listes de livres de poche que différents magazines conseillent pour vos lectures d'été. Je ne ferai pas l'injure à celles et ceux qui fréquentent ce blog de rappeler mon attachement à ce format. J'en parle toute l'année. Mais je ne commente pas tout ce que je lis, faute de temps. Voici donc, pour compléter les notes longues publiées depuis janvier sur des livres au format de poche, des notes plus brèves sur une trentaine de titres qui ont aussi fait mon bonheur cette année. Le meilleur, et rien que le meilleur. En deux parties, pour ne pas vous assommer.
Lauren Groff
Dans ses nouvelles,
Lauren Groff montre déjà un tempérament de romancière. Les personnages sont
consistants, même si leur fragilité est centrale. Placés sur des lignes de
faille, ils sont prêts à la fugue. Qui prend aussi son sens musical, puisque
les neuf textes sont brodés autour d’un thème unique, fuite volontaire ou non
qui détermine la suite. Des couples se font et se défont, des regards en coin
et des gestes furtifs prennent toute leur signification.
Milena Agus
Une jeune fille raconte
sa famille, sarde « depuis le
Paléolithique supérieur ». Père, mère, frère, tante, tous sont
décalés. L’ambiance est assez cacophonique. La narratrice elle-même, plongée
dans une relation sado-maso avec un homme marié, a du mal à trouver sa place
dans un contexte agité. Où trouvent place au passage, cependant, de belles
figures provisoires. Milena Agus décrit des horreurs sans en faire toute une
histoire, et cela fait une histoire superbe.
Herta Müller
Prix Nobel de littérature
2009, Herta Müller aiguise les mots et brise le rythme des phrases, haché comme
le souffle de ses personnages l’est parfois. Après la déportation par les
Soviétiques, en 1945, des Allemands vivant en Roumanie, la vie au camp est un
enfer quotidien. Çà et là surnagent des parcelles d’humanité, très mal en
point. Basé sur un témoignage, le roman transpose celui-ci avec une force qui
traverse les années et les cultures, pour nous toucher au cœur.
Thomas Bernhard
Thomas Bernhard n’avait
pas vingt ans quand il a connu Une mise
en quarantaine, pour citer le sous-titre de ce quatrième volet d’une
autobiographie. Dans les conditions quasi pénitentiaires d’un sanatorium, il
affine sa détestation de l’Autriche et de l’autorité, tout en se cherchant des
raisons de vivre. Le récit est si sombre, si noyé de désespérance sourde qu’il
semble n’avoir aucune chance de s’en sortir. Mais il y a, heureusement, la
musique et la littérature.
Audur Ava Olafsdóttir
Arnljótur n’est pas fait
pour les bateaux, puisqu’il a été malade pendant toute une campagne de pêche.
Ni pour les études. Ni pour être père, bien qu’il ait une petite fille. En
revanche, il est fasciné par les fleurs et, malgré les craintes de son père,
quitte l’Islande pour un pays lointain où il va restaurer, dans un monastère,
une roseraie exceptionnelle. Et apprendre, dans le même temps, qui il est
vraiment, dans un magnifique premier roman d’initiation.
Diane Ducret
Comment font-ils, les
dictateurs parfois laids, pour séduire les femmes ? Celles qui tombent
amoureuses sont-elles attirées par le pouvoir ? Diane Ducret se garde de
généraliser à partir des exemples qu’elle a choisi d’étudier dans le
détail : Mussolini, Lénine, Staline, Salazar, Bokassa, Mao, Ceausescu et
Hitler. Mais elle retourne la proposition et suggère que, surtout, ces hommes
avaient besoin de leurs égéries. Les portraits, basés sur une documentation
très fouillée, sont remarquables.
Franck Pavloff
Un volcan menace Naños de
Agua Santa, une ville d’Equateur. Un jardinier, venu d’on ne sait où, écoute
les mouvements qui font vibrer les entrailles de la terre. Son patron le trouve
bien alarmiste pour quelqu’un qui, au contraire de sa riche famille, ne connaît
pas le passé privilégié des terres dont il s’occupe : jamais une coulée de
lave n’a atteint celles-ci. Pourquoi en irait-il autrement ? Parce que,
peut-être, Franck Pavloff a placé ce roman sous le signe d’un avenir fragile.
Caroline Lamarche
Un chien court sur une
autoroute, se faufile entre les véhicules, s’échappe. La scène a surpris six
témoins qui se sont arrêtés – il faut sauver ce chien ! Et pour lesquels
ce moment cristallise toute une vie. Le camionneur créateur, le curé plein de
questions, la femme prête à quitter son amant, le cycliste désenchanté, la mère
qui n’a pu allaiter, sa fille trop grosse : chacun voit dans l’animal la
métaphore d’événements très personnels, et le kaléidoscope prend tout son sens.
William Cliff
William Cliff en poète
voyageur, ou vagabond. Ses périples américains et orientaux sont le chant d’un « loup errant qui ne sait où trouver
son trou ». Il se frotte à des populations que, souvent, il n’aime
pas. Comme Baudelaire en Belgique, c’est la détestation de lui-même qu’il
projette sur les autres. Les textes sont aigus comme des rochers sur lesquels
on se coupe, poisseux comme la boue qui colle aux pieds et dont l’odeur envahit
les narines. Avec, malgré tout, une beauté incongrue.
R.J. Ellory
Voici qui plaira aux
amateurs de théories du complot. Et même aux autres, car Ellory monte une
énigme spectaculaire autour de quelques femmes retrouvées mortes à Washington.
Le mode opératoire est identique, le surnom de « tueur au ruban »
circule. Tandis que l’inspecteur Miller patauge, le romancier partage avec le
lecteur les pensées du probable assassin. Bien entendu, tout est beaucoup plus
compliqué qu’il y paraît et on ne lâche pas l’affaire jusqu’à la fin.
Ingrid Betancourt
Ce pourrait être un
formidable roman d’aventures. Mais Ingrid Betancourt, candidate à l’élection
présidentielle de 2002 en Colombie, a vraiment été prisonnière des FARC plus de
six ans. Moments d’abattement, écart entre son éducation et une situation à
quoi rien ne l’a préparée, tentatives d’évasion, humiliations, rares espoirs,
rien ne manque dans ce récit poignant. Il ne suffisait pas de le vivre pour
l’écrire. Le résultat est un livre qu’on traverse de bout en bout comme un
cauchemar.
Jonas Jonasson
Non, Allan n’a pas envie
de fêter ses cent ans. Il fait la belle, tombe sur un jeune type patibulaire
dont il emporte la valise, trouve une fortune dedans, et se trouve dès lors,
accompagné de quelques complices de hasard, embarqué dans une histoire
invraisemblable. Pas davantage, au fond, que sa vie dont des pans se révèlent
au fil des pages. Nombreuses, les pages, mais une fête pleine de surprises et
qui dure beaucoup plus longtemps qu’un anniversaire.
Robert Bober
L’histoire de Jules et Jim est plus proche de lui que
ne pouvait le penser Bernard, un jeune homme devenu figurant dans le film de
Truffaut. Sa mère le lui fait découvrir avec précaution, grâce à des photos
qu’elle a laissées sous ses yeux. Entre un passé familial qu’il ne connaissait
pas, la fin de la guerre d’Algérie, des émois encore adolescents et des amitiés
intellectuelles, Robert Bober construit un roman sensible. Une évocation
personnelle et collective à partager.
Zéno Bianu
Depuis les blasons du
corps, la poésie française s’est emparée des aspects les plus variés de la
sensualité. Celle-ci se déchaîne à travers les siècles, de la douceur érotique
à la rage pornographique. Parmi les deux cents poètes que choisit Zéno Bianu,
les Belges ont leur place, de Norge à Cliff, de Michaux à Verheggen ou de
Scutenaire à Pirotte. Leurs variations sur un même thème font vibrer à
l’unisson le mot et la peau. Un livre de chevet au charme (aux charmes ?)
presque inépuisable.
Elsa Delachair
Les plus grands écrivains
ont pratiqué l’insulte avec bonheur, dans leurs œuvres ou pour s’en prendre à
leurs adversaires. Parfois les deux, d’ailleurs. On ne s’étonne pas de trouver
ici Louis-Ferdinand Céline et le Louis Pergaud de La guerre des boutons. Plus surprenante, sauf pour les familiers de
leurs textes, est la verve de William Shakespeare, de Molière ou de Raymond
Queneau. Il ne manque qu’Hergé et son capitaine Haddock, qui auraient mérité
d’avoir une place ici.
j aime bien votre selection
RépondreSupprimerSuper le plein de poches pour cet été !
RépondreSupprimerMerci !