Le bandeau publicitaire de L'élimination était déjà encombré par la liste des prix reçus par ce livre, prix Aujourd’hui, prix essai France Télévisions, grand prix SGDL de l’essai, prix Joseph
Kessel – et il faut maintenant y ajouter le prix du Livre et droits de l'homme, qui sera officiellement remis à Rithy Panh le 14 septembre, à l'occasion du Livre sur la Place à Nancy. Aucune de ces récompenses n’est galvaudée. Toutes conviennent à
un ouvrage qui informe, questionne et prend aux tripes.
Rithy Panh est surtout cinéaste. L’élimination est malgré tout son
troisième livre, après La machine khmère rouge
et Le papier ne peut pas envelopper la
braise, écrits aussi en collaboration (cette fois avec Christophe Bataille). Comme dans la plupart de ses films,
il interroge la mémoire du génocide cambodgien, par lequel son pays a été
douloureusement frappé. Dans ce cas précis, il interroge un acteur direct des
tortures et des assassinats : Duch, qui dirigeait le camp S21. « 12.380 personnes au moins furent
torturées dans ce lieu. Les suppliciés qui avaient avoué étaient exécutés dans
le « champ de la mort » de Chœung Ek, à quinze kilomètres au sud-est de
Phnom Penh – également sous la responsabilité de Duch. A S21, nul n’échappe à
la torture. Nul n’échappe à la mort. »
Ces quelques lignes, extraites de la première
page, donnent la mesure du personnage, condamné à la prison à perpétuité en février dernier, alors
que L’élimination venait de paraître.
Rithy Panh, rencontré à Saint-Malo, fait la différence
entre le film qu’il a réalisé sur Dutch et ce livre, où il écrit : « je ne cherche pas la vérité mais la
parole. Je veux que Duch parle et s’explique – surtout lui ; qu’il dise sa
vérité ; son parcours ; ce qu’il a été, ce qu’il a voulu ou pensé être,
puisque, après tout, il a vécu, il vit, il a été un homme, et même un enfant. »
Mais où il n’est pas seulement question de Duch.
Ce livre
explique comment cette histoire me ramène à ma propre histoire, et s’interroge
sur la manière de gérer la réflexion sur le génocide.
Pourquoi
un livre au lieu d’un film ?
Chaque support
a sa propre efficacité. Il y a des choses que l’image peut faire mieux que les
mots. Mais quand vous lisez des témoignages écrits, comme par exemple ceux de
Robert Antelme, ils ont une force différente. J’aime lire, en particulier de la
poésie.
Le génocide
cambodgien vous hante. Mais il n’est pas votre seule source d’inspiration…
Je pense
qu’il est temps de faire autre chose que de parler toujours du Cambodge. La
meilleure preuve qu’on a gagné contre les criminels, c’est que nous arrivons à
créer. J’ai d’ailleurs souvent alterné le documentaire et la fiction et je
tiens à être surtout un cinéaste, bien davantage qu’un témoin.
Duch vous
fascine-t-il ?
C’est un
personnage humain, pervers, complexe, une combinaison entre un tueur et
l’organisateur de la tuerie. Il sait ce qu’est la morale, l’éthique, et c’est
très perturbant. Cette rencontre m’a déstabilisé, j’avais besoin de revenir sur
notre confrontation, autant que sur mon histoire personnelle.
Christophe
Bataille a travaillé avec vous pour écrire L’élimination.
Pourquoi ?
J’aurais
été incapable d’écrire cela tout seul, je me serais flingué après trente pages.
J’avais besoin de quelqu’un qui me soutienne littérairement, artistiquement,
mais aussi humainement. Comme dans une mise en scène, où vous êtes en dialogue
constant à propos, par exemple, de l’éclairage. Cela a été, pendant un an et
demi, une aventure littéraire et amicale, au cours de laquelle nous étions sans
cesse en contact, et où Christophe Bataille m’a parfois proposé cent versions
différentes de la même page.
Vous
dites dans le livre que vous cherchez à fournir tous les détails, de manière à
ce que le génocide ne soit jamais un détail. Vous êtes aussi à l’origine du
centre Bophana, qui recueille les témoignages à propos de ces événements. Cela
vous semble-t-il si important ?
Il y a
vingt-cinq ans, quand je présentais mes films, il n’y avait pas un Cambodgien
dans la salle. Maintenant, j’y vois des jeunes qui n’ont jamais connu les
Khmers rouges et qui cherchent leur histoire. Je ne reproche rien à ceux qui ne
veulent pas parler mais j’essaie d’apporter des parcelles de réponses qui
serviront à éclairer le passé.
Quelle
sera la prochaine étape ?
Je ne sais
pas ce que ça va donner, mais je travaille à disséquer un cours idéologique des
Khmers rouges, pour comprendre comment les mots sont utilisés, un peu comme Victor
Klemperer a étudié la langue du IIIe Reich.
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