Avec L’hypothèse des sentiments, Jean-Paul Enthoven a écrit un livre
échevelé et séduisant. Il provoque un plaisir de chaque instant, léger et irisé
comme une bulle de savon. Puis, une fois le roman refermé, la bulle disparaît.
Etrange sensation, presque gênante, tant on pensait conserver quelque chose des
heures passées à le lire. Voilà qui mérite une tentative d’analyse à laquelle
l’auteur, esprit vif difficile à prendre en défaut, se prête volontiers : « Deux explications à cela. Première
hypothèse : j’ai complètement réussi mon coup, parce que le bonheur est
une substance qui s’évapore. Deuxième hypothèse : j’ai complètement raté
mon coup, parce que j’ai fabriqué des personnages qui ne résistent pas à
l’épreuve du temps. Je vous laisse choisir. »
Le bonheur, qu’il
s’évapore ou non, est au centre du propos. Jean-Paul Enthoven y revient sans
cesse dans la conversation : « J’ai
voulu écrire un livre sur le bonheur. Même si le bonheur a des épilogues
tragiques, cela n’a aucune espèce d’importance. Quand je parle du bonheur, je
ne parle pas seulement de ce que l’on ressent, je parle de la couleur du ciel,
je parle de la douceur italienne… » L’Italie, à cause de Stendhal, « le premier à avoir dit que le bonheur
était italien ». L’Italie à cause de son cinéma et de sa littérature,
aussi.
Tous les genres narratifs
sont utilisés : « Le récit
classique, l’écriture de scénario, la note en bas de page, le récitatif, le
poème, le théâtre, les didascalies… » Pas le temps de s’ennuyer,
l’écriture virevolte comme les personnages, une nécessité pour un romancier qui
connaît ses limites et le registre dans lequel il se sent bien : « Un écrivain a deux chemins qui
s’ouvrent à lui. Soit c’est un écrivain puissant, et il n’a pas besoin d’être
un ciseleur. Soit il est dépourvu de puissance et, à ce moment-là, il vaut
mieux qu’il soit ciseleur. Moi, j’aurais rêvé d’avoir de la puissance. J’aurais
rêvé qu’on me dise : “L’armée napoléonienne entre en Russie et avance
jusqu’à Moscou, décrivez.” Mais je ne sais pas faire. En revanche, je sais
ouvrager des choses infimes. Il ne faut pas se tromper d’instrument. Mon
instrument, c’est la flûte à bec, ce n’est pas les cordes. »
Puisqu’il n’y a pas de campagne
napoléonienne, il y a une campagne amoureuse. Au départ, Max Mills, scénariste,
découvre, mais un peu tard, que la valise récupérée en quittant l’Hôtel de
Russie à Rome n’est pas la sienne. Il se renseigne, apprend que la propriétaire
du bagage habite Monte-Carlo, lit le journal intime trouvé dans la valise, rêve
sur la femme qui l’a écrit : elle correspond à ses rêves. Et décide de
rapporter lui-même l’objet échangé, sans savoir ce qu’il adviendra d’une
rencontre. Il ne sera pas déçu.
Jean-Paul Enthoven dit
n’avoir guère d’imagination et utiliser des éléments de sa propre vie pour
forger ses romans. On s’étonne. L’aventure qu’il raconte ici paraît si
romanesque qu’elle doit quand même être inventée. Non, elle est la sienne, « avec les transpositions d’usage. Sauf
que l’unité de temps est artificiellement limitée à une année. Dans la vie
réelle, c’était beaucoup plus long. Mais le fond de l’affaire est dans ma vie
avant d’être dans un livre. »
Voilà qui donne envie de reprendre le livre au début, d’y chercher des indices et de retrouver le plaisir de la première fois, avec une chance de ne plus rien en oublier.
Voilà qui donne envie de reprendre le livre au début, d’y chercher des indices et de retrouver le plaisir de la première fois, avec une chance de ne plus rien en oublier.
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