Victorien Salagnon a fait
la guerre pendant vingt ans. En France, en Indochine et en Algérie, il a
participé aux combats, a tué, a essayé de comprendre la violence des hommes
avant d’y renoncer et d’accepter la loi du sang qui coule. Il a mis les choses
à distance grâce à la peinture qu’il a pratiquée jusque sur les champs de
bataille, le plus souvent à l’encre et inspiré, à la manière chinoise, par le
mouvement de sa main davantage que par ce qu’il voyait. Aujourd’hui, retiré
dans la banlieue de Lyon avec la femme qu’il a toujours aimée, il continue à
fréquenter un ancien compagnon d’armes, Mariani, qui lui a sauvé la vie et dont
la colère toujours vive a fait un compagnon de route des GAFFES, le Groupe
d’Autodéfense des Français Fiers d’Être de Souche.
C’est cet homme que
rencontre le narrateur, à un moment de sa vie où il la maîtrise mal. Sous les
silences, il perçoit une forme de sagesse à laquelle il espérera atteindre
aussi en partageant l’art de la peinture à l’encre. Et, surtout, il reconstitue
l’histoire de Victorien Salagnon à la lumière des événements
contemporains : la montée du racisme et de l’intolérance, la colère des
banlieues, la répression toujours plus présente. Dans une vision plus large, il
perçoit la manière dont la France s’est constituée, telle qu’elle croit être, à
travers la fiction écrite par celui qu’il appelle le Romancier (de Gaulle). Capable, pense-t-on, de dire le vrai alors
qu’il s’applique à faire croire ce qu’il a imaginé. Sur le riche terreau de « la pourriture coloniale »
s’est développée une société à plusieurs vitesses, comme en témoignent les
différences de statuts entre les personnes au temps où l’Algérie
française : les uns étaient citoyens, les autres, sujets…
Alexis Jenni a écrit avec L'art français de la guerre un
premier roman qui ne se contente pas d’être épais. Il brasse aussi, à travers l’épopée
à la fois héroïque et dérisoire du personnage principal, bien des questions
humaines posées avec acuité pendant ces vingt ans de guerre et qui font
aujourd’hui encore écho à l’actualité. En alternant les chapitres de
commentaires à la première personne et ceux du roman proprement dit, il crée
une proximité dans laquelle on se sent bien, malgré la gravité des thèmes
abordés. Dans une écriture où les répétitions servent de ponctuation, il a mis
en place une efficace machine de guerre à la guerre, avec nuances.
Le prix Goncourt est venu, en 2011, couronner ce livre d'un débutant déjà mûr.
P.-S. Alexis Jenni tient un blog, suivi par celui-ci (colonne de droite, rubrique "Ma liste de blogs").
P.-S. Alexis Jenni tient un blog, suivi par celui-ci (colonne de droite, rubrique "Ma liste de blogs").
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire