vendredi 8 février 2013

Linwood Barclay empêche de dormir


Mais pourquoi donc Tim Blake a-t-il insisté quand il a parlé des nouvelles lunettes de soleil de Syd, sa fille de dix-sept ans ? Jusque-là, le petit déjeuner se passait à peu près bien, pas trop mal en tout cas, comme entre un père divorcé et son enfant parfois boudeur. Mais les lunettes l’ont lancé dans une mauvaise direction. Il a demandé si elles avaient coûté cher. Si elle avait le ticket de caisse. Tout ça parce que, deux ans plus tôt, elle avait volé un T-shirt dans une boutique. Syd s’est mise en colère, elle est partie au travail. Et elle n’est pas rentrée. « Bravo, bien joué », s’était dit Tim dès le matin, en comprenant son erreur. Puis il n’a plus eu qu’à ruminer, tout en cherchant sa fille partout où elle pouvait être allée. A son travail, d’abord, où il a pris une grande claque dans la figure : on ne l’y a jamais vue.
Et c’est parti pour quatre cent cinquante pages que l’on pourrait, avec la mauvaise intention de gâcher le plaisir, résumer en quelques lignes. L’intrigue, une fois qu’on l’a comprise, tout à la fin, est en effet assez mince. Dans ce thriller, ce n’est même pas un défaut. Linwood Barclay sature le récit de fausses pistes et d’éléments secondaires qui finissent par créer chez le lecteur un brouillard comparable à celui où se trouve Tim Blake. Avec, de part et d’autre, un identique désir d’aller jusqu’au bout pour en sortir – espère-t-on.
On accompagne donc Tim dans ses doutes et ses remords. Persuadé d’abord d’avoir été un moins bon père qu’il l’aurait dû, il en vient très vite à penser qu’il ne connaît pas vraiment sa fille, qu’elle lui a caché tout un pan de sa vie et qu’elle est peut-être embarquée dans une histoire louche et dangereuse, bien pire que tout ce qu’il aurait pu imaginer. Il s’accroche à tout ce qu’il trouve, traverse les Etats-Unis sur une vague piste que lui fournit une inconnue à Seattle, rentre chez lui pour découvrir qu’il a été cambriolé et qu’un sachet d’héroïne a été placé là afin que la police le trouve. Il n’est d’ailleurs pas sans taches aux yeux de la police, habituée à chercher d’abord au plus près des victimes. Et son désespoir l’entraîne à prendre des décisions qui aggravent son cas.
La psychologie des personnages joue un rôle essentiel dans Crains le pire. Car il n’y a pas que Tim. La mère de Syd, Susanne, joue un rôle plus lointain mais essentiel dans le récit. Remariée avec Bob, qui vend des voitures en grand alors que Tim est seulement employé dans une concession, elle a eu l’impression de gravir un échelon sur l’échelle sociale. Elle n’a pas vu d’inconvénient à la présence, dans sa nouvelle maison, du fils de Bob. Sans réaliser que tout se mettait en place pour créer une atmosphère étrange.
Linwood Barclay, écrivain canadien, a fait ses preuves avant ce livre (Cette nuit-làLes voisins d’à côtéNe la quitte pas des yeux). Il confirme son statut de romancier noir, très noir, capable de faire oublier à son lecteur qu’il est temps de s’endormir.

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