Dans la rentrée littéraire qui déferle, on trouve un étonnant Crash-test signé Claro. Mais aussi, du même auteur, au rayon des
livres au format de poche, la réédition de Tous les diamants du ciel, roman paru en
2012.
Claro est reparti pour un tour du manège enchanté (et infernal)
sur lequel il revisite l’Histoire du monde. Antoine était mitron à
Pont-Saint-Esprit en 1951, quand les habitants de cette commune furent saisis
de transes provoquées peut-être par une fournée de pain où l’ergot de seigle
aurait mal tourné, à moins que la CIA s’en soit mêlée. Sur ce fait divers
authentique aux interprétations multiples, un rêve d’écrivain, Claro nous
fournit quelques détails plus loin.
Puisqu’il y a des diamants dans le ciel et que Claro a écrit Black Box Beatles, il faut bien qu’une
Lucy intervienne dans le roman, car… Lucy
in the Sky with Diamonds. Le LSD n’est d’ailleurs pas étranger à ce qui arrive
à Pont-Saint-Esprit – au moins dans une interprétation des faits –, ni à ce qui
va suivre. Dans la deuxième partie, alors qu’on a quitté, toujours en 1951, la
France pour New York, voici donc Lucy. Si son arrivée est prévisible, la suite
l’est beaucoup moins. Avant de se poser à Paris pour y ouvrir le premier
sex-shop, Les Sept Délices, dont
Antoine pousse la porte un samedi soir de l’automne 69, Lucy n’a pas vécu que
18 ans. Elle a surtout traversé des aventures qui ressemblent à une époque dont
elle est à la fois témoin et actrice. Sa mémoire pèse, au contraire de celle
d’Antoine dont d’ailleurs nous ne saurons rien entre ces deux dates avant qu’il
se raconte à Lucy. Mais son récit est entaché de doutes sérieux.
On ne sait trop sur quel pied danser, entre deux personnages dont
la présence aux autres est loin d’avoir le même sens. Mais on danse avec
allégresse, sur les frémissements d’une écriture qui s’avance
souverainement : « Ne revenons
pas sur toutes ces choses, qui sont passées, passées et dépassées, à quoi bon
les remuer, les réchauffer, pouah, on n’en veut plus et c’est mieux ainsi, car
regardez dehors : l’automne est là ! » Et c’est ainsi tout
le temps, dans une joyeuse pétarade dont le brouhaha est celui de cette
trentaine d’années pendant lesquelles tout semblait possible : les
errements les plus inquiétants de la guerre froide comme les rebondissements
individuels sur les multiples possibilités d’une société de consommation qui
ouvre sans limites de nouveaux marchés.
Sous le brouhaha, on entend cependant clairement les paroles plus
discrètes de deux personnages qui avaient besoin de se rencontrer pour se
croire complémentaires.
Qui se souvient de
Pont-Saint-Esprit et de la curieuse épidémie de 1951 ?
En fait, il s’agit d’un
drame qui a beaucoup marqué la France d’après-guerre. Le fait que
l’intoxication ait été causée par le pain quotidien, autrement dit un aliment
traditionnel et religieux, a contribué à accentuer le traumatisme. Bien sûr, ce
« fait d’été » a fini par tomber plus ou moins dans l’oubli. Mais il
y a quelques années, H.P. Alabarelli a émis l’hypothèse que l’affaire du pain
maudit était due à une expérience d’une des cellules de la CIA chargée
d’expérimenter le LSD sur des populations civiles. Cette transsubstantiation du
pain en drogue m’a évidemment fasciné.
Vous utilisez autant les
faits que les rumeurs. Sur le même plan ?
Dans cette affaire de pain
maudit, de CIA, et dans un contexte paranoïaque, les frontières entre réel,
possible, probable et faux sont brouillées. Il y a ce qu’on sait et ce qu’on
peut inférer, deviner, extrapoler. La guerre froide a eu cette particularité de
changer la simple trouille en fantasme. L’espionite, les gadgets, les
opérations secrètes, le double jeu, tout ça a pour but d’empêcher le citoyen de
faire la part entre la menace réelle et la menace possible. On n’a aucune
preuve certaine que la CIA ait « dosé » la ville de Pont-Saint-Esprit,
mais le seul fait que la chose soit techniquement possible suffit à en rendre
le spectre prégnant.
Où se niche ce qu’on
pourrait appeler la poésie du texte ?
C’est une question compliquée. C’est même LA question. Le problème du roman, dans la mesure où il cherche à traiter le réel sous l’angle narratif (et descriptif, dialogique…), c’est que très vite il s’oublie comme invention langagière pour n’être plus que rendu, restitution. La force de la chose racontée l’emporte sur l’approche, la vision, l’appréhension. On tient par exemple un sujet intéressant, et on confie à ce sujet la responsabilité du récit. D’où les impasses du roman, en particulier du roman bourgeois (le modèle dominant) qui réduit l’aventure du livre au déroulement de l’action (et à son commentaire abâtardi). La « poésie » – et par ce mot j’entends ici les forces subversives de la langue – joue, peut jouer dans le roman le rôle d’un contre-pouvoir. Ce qui manque souvent au roman, c’est justement la menace poétique. Je suis plus influencé par Rimbaud que par Balzac quand j’écris un roman, pour schématiser.
C’est une question compliquée. C’est même LA question. Le problème du roman, dans la mesure où il cherche à traiter le réel sous l’angle narratif (et descriptif, dialogique…), c’est que très vite il s’oublie comme invention langagière pour n’être plus que rendu, restitution. La force de la chose racontée l’emporte sur l’approche, la vision, l’appréhension. On tient par exemple un sujet intéressant, et on confie à ce sujet la responsabilité du récit. D’où les impasses du roman, en particulier du roman bourgeois (le modèle dominant) qui réduit l’aventure du livre au déroulement de l’action (et à son commentaire abâtardi). La « poésie » – et par ce mot j’entends ici les forces subversives de la langue – joue, peut jouer dans le roman le rôle d’un contre-pouvoir. Ce qui manque souvent au roman, c’est justement la menace poétique. Je suis plus influencé par Rimbaud que par Balzac quand j’écris un roman, pour schématiser.
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