Charles Dantzig avait
publié Il n’y a pas d’Indochine en
1995. Une grosse vingtaine de textes correspondant à des voyages, d’Amsterdam à
Paris en passant par quelques endroits plus lointains comme Vancouver ou la
Malaisie. Mais des voyages décalés où le déplacement s’accompagne d’un
mouvement intérieur souvent dirigé vers la littérature, ce qui ne surprendra
pas ses lecteurs plus tardifs. Avant de rééditer cet ouvrage, il l’a relu, y a
ajouté quelques notes et un chapitre liminaire dans lequel quantité d’écrivains
parlent de voyages, puis Charles Dantzig lui-même : « je crois que “Il n’y a pas d’Indochine” veut dire : “Il n’y
a pas d’exotisme”. » Cela méritait de plus amples explications.
Vous considérez-vous comme un écrivain
voyageur ?
Non, pas du tout. Les écrivains voyageurs font
très souvent une chose que font tous les voyageurs quand ils nous montrent les
diapositives de leurs voyages. Rien ne m’ennuie plus que cela, dont mon livre
est le contraire. Quand je vais à Paris, je ne regarde pas la Tour Eiffel. Il y
a des lieux qui sont devenus des clichés et il n’y a aucun intérêt à les
montrer encore une fois. Je trouve qu’au contraire, il est intéressant, quand
on est dans un endroit, à montrer ce qui est au fond leur vérité. Par exemple,
dans mon chapitre sur New York, au lieu d’aller visiter l’Empire State Building
ou la statue de la Liberté, je décris la parade en l’honneur de Nelson Mandela,
parce que la vérité d’une ville est là aussi, et ce sont des choses qu’on ne
nous montre jamais. Je montre les librairies de New York parce que personne ne
vous en parle. Pourtant, une librairie à New York, c’est plus véridique, aussi
paradoxal que cela puisse paraître, que l’Empire State Building, parce qu’aucun
New-yorkais ne va visiter l’Empire State Building. C’est pour les touristes.
Les New-yorkais vont dans les librairies.
Dans ce chapitre, vous utilisez la liste à propos
de la parade. C’est une des formes auxquelles vous reviendrez plus tard…
En effet, ce livre contient déjà tous mes autres
livres. Il m’a permis de constater qu’à la longue, je compose ce qu’on peut
appeler une œuvre. Une œuvre, ça ne se remarque pas tellement aux idées qu’on
a, parce que les idées peuvent changer, mais à la façon qu’on a de dire les
choses. Effectivement, je faisais déjà des listes parce que je pense qu’il
existe non seulement une poésie des listes mais que la liste permet de faire
cracher la vérité aux choses, parfois. J’ai découvert aussi, par exemple, la
forme des chapitres : je mets des grands blancs à l’intérieur des chapitres.
Cela m’est nécessaire parce que c’est une respiration et aussi une forme de
politesse vis-à-vis du lecteur. Parfois, j’écris des paragraphes qui peuvent
être assez denses, il faut laisser au lecteur le temps de respirer et de
penser. Les blancs, c’est l’espace où le lecteur se met, là où il peut, avec
son stylo, prendre des notes, contester, approuver… Mon lecteur est dans mes
livres aussi.
Si on appelle écrivain, comme vous, « quelqu’un qui écrit pour quelque
chose de plus haut que lui », est-ce que vous vous sentez
écrivain ?
Je vais le dire très immodestement : oui. Je
ne dis pas que je le réussis, mais je dis que je l’essaie. Et l’essayer, c’est
déjà bien. Il y a des auteurs qui se contentent d’écrire… on ne sait pas bien
pourquoi, d’ailleurs, pour raconter une histoire, parce qu’ils en ont
l’habitude, parce qu’ils ont déjà publié un livre alors ils en publient deux et
se contentent de raconter leur « moi ». Dans ce livre, je parle de
moi mais seulement à titre d’exemple, par honnêteté intellectuelle : voilà
qui vous parle. Quand il m’arrive de parler de moi, c’est parce que je lis un
grand écrivain, que je regarde une grande œuvre d’art et que j’essaie de
m’intéresser à quelque chose qui peut m’améliorer.
Le plus souvent, vous lisez des livres sans rapport
avec votre destination…
A la fin, j’en ai fait une règle, pour la liberté du regard. Si on va à Moscou et qu’on lit Guerre et paix, on a le regard orienté par la vision que Tolstoï a de la Russie. Mon principe est que je vais à Moscou et que je lis un roman chinois parce que mon imagination, quand elle est dans le roman chinois, est libre de voir ce qu’elle veut de la ville de Moscou.
A la fin, j’en ai fait une règle, pour la liberté du regard. Si on va à Moscou et qu’on lit Guerre et paix, on a le regard orienté par la vision que Tolstoï a de la Russie. Mon principe est que je vais à Moscou et que je lis un roman chinois parce que mon imagination, quand elle est dans le roman chinois, est libre de voir ce qu’elle veut de la ville de Moscou.
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