lundi 15 février 2016

En rayon : Maurice Blanchot, inoubliable

Ces auteurs qu'on a lus aux époques de vastes défrichages sauvages - défrichages destinés à faire pousser, non à détruire - et auxquels on revient toujours comme à une source lointaine dont on ne s'est pas déconnecté, tant cela continue à vibrer et à déclencher, en soi, quelque chose de puissant, dans des ébranlements vivifiants. Artaud, Bataille, Blanchot, de ces noms-là. Et, aujourd'hui, surgissement de L'attente l'oubli, texte singulièrement inoubliable. Je vous prends par la main, dirige vos yeux vers la première page, allez-y. Et, ensuite, à la première occasion, poursuivez...

Ici, et sur cette phrase qui lui était peut-être aussi destinée, il fut contraint de s’arrêter. C’est presque en l’écoutant parler qu’il avait rédigé ces notes. Il entendait encore sa voix en écrivant. Il les lui montra. Elle ne voulait pas lire. Elle ne lut que quelques passages et parce qu’il le lui demanda doucement. « Qui parle ? » disait-elle. « Qui parle donc ? » Elle avait le sentiment d’une erreur qu’elle ne parvenait pas à situer. « Effacez ce qui ne vous paraît pas juste. » Mais elle ne pouvait rien effacer non plus. Elle rejeta tous les papiers tristement. Elle avait l’impression que, bien que lui ayant assuré qu’il la croirait en tout, il ne la croyait pas assez, avec la force qui eût rendu la vérité présente. « Et maintenant vous m’avez arraché quelque chose que je n’ai plus et que vous n’avez même pas. » N’y avait-il pas des mots qu’elle acceptait plus volontiers ? qui s’écartaient moins de ce qu’elle pensait ? Mais tout tournait devant ses yeux : elle avait perdu le centre d’où rayonnaient les événements et qu’elle tenait si fermement jusqu’ici. Elle dit, peut-être pour sauver quelque chose, peut-être parce que les premiers mots disent tout, que le premier paragraphe lui paraissait le plus fidèle et aussi un peu le second, surtout à la fin.
Il résolut de repartir de là. Il ne la connaissait pas beaucoup. Mais il n’avait pas besoin de familiarité pour se rendre proche des êtres. Ce qui les avait mis si intimement en rapport, était-ce le hasard qui lui avait donné pour chambre précisément cette chambre ? D’autres l’avaient habitée entre-temps, et elle disait qu’elle les évitait au contraire. Sa chambre à elle était au bout du même couloir, un peu plus loin, à l’endroit où la maison se mettait à tourner. Il pouvait l’apercevoir, lorsqu’elle était étendue sur le large balcon, et il lui avait fait des signes peu après son arrivée.

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