dimanche 3 février 2019

Céline Minard seule en montagne

Céline Minard est une romancière voyageuse à travers genres et thèmes. La fois précédente, Faillir être flingué touchait au western. Cette année, Bacchantes (que je n'ai pas lu) est un braquage. Entre les deux, Le Grand Jeu, réédité au format de poche, explore une solitude volontaire dont toutes les raisons ne sont pas dites. La femme qui a acheté un pan de montagne pour y vivre plusieurs mois sans contact avec le reste de l’humanité semble en tout cas avoir besoin de cette expérience pour se reconstruire. Autant qu’elle a aussi besoin de l’exercice physique qui accompagne son séjour, sur des pentes raides.
Elle n’a pas renoncé à tout confort : sa cellule d’habitation, conçue par elle-même, « une belle planque », est un tonneau équipé en cellule de survie de luxe, avec un aménagement de l’espace aussi bien pensé que dans un bateau où chaque partie du mobilier s’intègre à un volume réduit.
L’apprentissage du terrain et des nouvelles habitudes ou l’organisation d’un petit jardin occupent des journées emplies de questions. Le face à face avec soi-même, étiré dans le temps, pousse l’esprit à vagabonder autour de sujets qu’il n’a pas le temps d’aborder en société. « La menace pourrait-elle être une contrainte forte et la promesse une contrainte douce ? » « Est-ce que l’attention au présent pourrait suffire à constituer une méthode ? » Les interrogations émaillent le récit d’éclairs de lucidité, ou de moments qui voudraient passer pour de la lucidité, alors qu’ils sont peut-être le signe d’une certaine confusion.
Peu importe, on suit la narratrice sur tous les chemins qu’elle emprunte, même celui d’un vocabulaire technique pour décrire la montagne et les outils utilisés afin de la dompter. Ces mots au sens incertain pour le non spécialiste sont des pitons plantés dans la paroi du texte, on y accroche la corde de rappel et en avant !
Sur la surface presque étale d’un quotidien où il ne se passe pas grand-chose, un événement de première grandeur survient soudain : le signe d’une autre présence humaine. Faut-il s’en inquiéter ou s’en réjouir ? Il semble en tout cas impossible de l’ignorer et nécessaire de nouer avec cette personne, vêtue d’une robe de bure et peu causante dans un premier temps, une relation au moins minimale. Il y a de la perturbation en vue, plus puissante que celles provoquées par les phénomènes météorologiques – vent, soleil, neige, grêle. De quoi amener de nouvelles questions dans un roman qui se termine par une série de phrases interrogatives. Au lecteur, s’il a le pied montagnard, de trouver ses propres réponses.

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