Le premier roman de Niels Labuzan, Cartographie de l’oubli, réédité au Livre de poche, est ambitieux. Son auteur s’est donné les
moyens nécessaires à un livre ample : son volume suppose un souffle qui ne
lui manque pas ; la matière est puisée sur un terrain peu familier à la
plupart des lecteurs, le Sud-Ouest africain, colonie allemande devenue la
Namibie, dont la découverte est une belle surprise ; les personnages,
certains historiques, d’autres fictifs, représentent plusieurs époques, entre
1889 et 2004. Il s’est passé, sous la domination allemande, des choses
terribles dont la gravité va croissant. Et, en 2004, il était temps d’en
reparler. Le roman englobe tout cela. Mais on était curieux de savoir comment
ce sujet et cet espace s’étaient imposés à l’écrivain.
Qu’est-ce qui vous a
poussé vers la Namibie ?
C’est arrivé de
manière détournée. Il y avait une attirance pour l’Afrique australe, un rêve
d’enfant où l’imaginaire se développe, sans explication. Puis j’ai rencontré
l’histoire de ce qu’on appelait le Sud-Ouest africain quand je suis parti au
Chili à la fin de mes études. J’ai découvert que, dans le sud, il y avait eu
une colonisation allemande, faite en 1845 à la demande du gouvernement chilien.
Des pharmaciens, des agriculteurs, des ouvriers étaient partis d’Allemagne pour
s’établir là. Quarante ans plus tard, après la conférence de Berlin, les
Allemands ont envoyé des hommes dans le Sud-Ouest africain mais la différence,
c’est qu’ils avaient envoyé des soldats. Une vingtaine au début, pour établir
des accords d’amitié et de protection avec les indigènes, et ça a rapidement
dégénéré. La relation avec la population s’est très vite détériorée. Le
rapprochement entre les deux m’a intéressé, et aussi de comprendre que notre
histoire européenne du XXe siècle s’était peut-être jouée en partie dans ces
territoires.
Une sorte de
préparation, un grand terrain de jeu pour l’entraînement ?
Exactement. A travers
le personnage de ce jeune soldat, Jakob. Il arrive innocent, naïf, il ne
connaît évidemment rien des guerres à venir au siècle suivant. Donc je raconte
la construction d’un homme face à l’autorité, face à l’armée, et la
construction d’un territoire en tant que nation, racontée par le narrateur
contemporain, en passant par l’époque de l’apartheid.
Votre titre est-il
une manière de dire qu’il s’agit d’une guerre oubliée ?
Oui, c’est la notion
de mémoire qui m’intéressait, une mémoire que nous avons un peu perdue. Les
populations ont été, là-bas, sacrifiées au nom d’une modernité et d’un idéal
racial assez terrifiants.
Il y a des hommes
d’exception, pourtant, dans les tribus qui se trouvaient là…
L’histoire n’est pas
racontée de leur point de vue, parce que je n’avais pas vraiment les moyens de
parler en leur nom, mais ce sont des personnages importants. Il y a deux chefs
emblématiques, Samuel Maharero, qu’on retrouve en 2004 avec le pèlerinage en sa
mémoire, et Hendrik Witbooi, dont le commandant Leutwein dit qu’il serait sans
doute devenu un grand monarque s’il était né ailleurs. Ce ne sont pas des
personnages idéalisés, parce qu’ils se sont toujours fait des guerres entre
eux, mais ils ont été fidèles à leur peuple et à leur liberté. Mais ils ont été
victimes d’une machine terrible qui s’est mise en place et qui a été lancée par
une succession de gouverneurs et d’hommes qui ont pris chacun des ordres de
plus en plus terribles.
Celui qui arrive est
toujours pire que le précédent ?
Oui, il y a une espèce
de gradation. Le premier, Curt von François, est un personnage un peu
romantique. Puis on envoie Theodor Leutwein, un homme plus froid, plus
stratège, mais qui a quand même une part d’humanité, il ne croit pas en tout
cas qu’il est nécessaire de détruire toutes les populations. Il est remplacé
par Lothar von Trotha, qui est un personnage sinistre et proclame en 1904 un
ordre d’extermination totale des Hereros, femmes, enfants, vieillards, avec ou
sans armes. Et il se charge ensuite de mettre en place sur le territoire les
premiers camps de concentration allemands.
Jakob, votre
personnage principal, traverse tout cela. Mais comment prend-il position en
fonction ou non de son amour pour Brunhilde ?
Il n’a pas beaucoup de
décisions à prendre. Mais celles qu’il prend sont souvent mauvaises et la seule
qu’il prend vraiment par rapport à Brunhilde, qui est la fille d’un marchand et
qui est un peu l’opposé de Jakob, va causer sa perte.
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