lundi 18 février 2019

Le premier roman de Niels Labuzan (entretien)


Le premier roman de Niels Labuzan, Cartographie de l’oubli, réédité au Livre de poche, est ambitieux. Son auteur s’est donné les moyens nécessaires à un livre ample : son volume suppose un souffle qui ne lui manque pas ; la matière est puisée sur un terrain peu familier à la plupart des lecteurs, le Sud-Ouest africain, colonie allemande devenue la Namibie, dont la découverte est une belle surprise ; les personnages, certains historiques, d’autres fictifs, représentent plusieurs époques, entre 1889 et 2004. Il s’est passé, sous la domination allemande, des choses terribles dont la gravité va croissant. Et, en 2004, il était temps d’en reparler. Le roman englobe tout cela. Mais on était curieux de savoir comment ce sujet et cet espace s’étaient imposés à l’écrivain.
Qu’est-ce qui vous a poussé vers la Namibie ?
C’est arrivé de manière détournée. Il y avait une attirance pour l’Afrique australe, un rêve d’enfant où l’imaginaire se développe, sans explication. Puis j’ai rencontré l’histoire de ce qu’on appelait le Sud-Ouest africain quand je suis parti au Chili à la fin de mes études. J’ai découvert que, dans le sud, il y avait eu une colonisation allemande, faite en 1845 à la demande du gouvernement chilien. Des pharmaciens, des agriculteurs, des ouvriers étaient partis d’Allemagne pour s’établir là. Quarante ans plus tard, après la conférence de Berlin, les Allemands ont envoyé des hommes dans le Sud-Ouest africain mais la différence, c’est qu’ils avaient envoyé des soldats. Une vingtaine au début, pour établir des accords d’amitié et de protection avec les indigènes, et ça a rapidement dégénéré. La relation avec la population s’est très vite détériorée. Le rapprochement entre les deux m’a intéressé, et aussi de comprendre que notre histoire européenne du XXe siècle s’était peut-être jouée en partie dans ces territoires.
Une sorte de préparation, un grand terrain de jeu pour l’entraînement ?
Exactement. A travers le personnage de ce jeune soldat, Jakob. Il arrive innocent, naïf, il ne connaît évidemment rien des guerres à venir au siècle suivant. Donc je raconte la construction d’un homme face à l’autorité, face à l’armée, et la construction d’un territoire en tant que nation, racontée par le narrateur contemporain, en passant par l’époque de l’apartheid.
Votre titre est-il une manière de dire qu’il s’agit d’une guerre oubliée ?
Oui, c’est la notion de mémoire qui m’intéressait, une mémoire que nous avons un peu perdue. Les populations ont été, là-bas, sacrifiées au nom d’une modernité et d’un idéal racial assez terrifiants.
Il y a des hommes d’exception, pourtant, dans les tribus qui se trouvaient là…
L’histoire n’est pas racontée de leur point de vue, parce que je n’avais pas vraiment les moyens de parler en leur nom, mais ce sont des personnages importants. Il y a deux chefs emblématiques, Samuel Maharero, qu’on retrouve en 2004 avec le pèlerinage en sa mémoire, et Hendrik Witbooi, dont le commandant Leutwein dit qu’il serait sans doute devenu un grand monarque s’il était né ailleurs. Ce ne sont pas des personnages idéalisés, parce qu’ils se sont toujours fait des guerres entre eux, mais ils ont été fidèles à leur peuple et à leur liberté. Mais ils ont été victimes d’une machine terrible qui s’est mise en place et qui a été lancée par une succession de gouverneurs et d’hommes qui ont pris chacun des ordres de plus en plus terribles.
Celui qui arrive est toujours pire que le précédent ?
Oui, il y a une espèce de gradation. Le premier, Curt von François, est un personnage un peu romantique. Puis on envoie Theodor Leutwein, un homme plus froid, plus stratège, mais qui a quand même une part d’humanité, il ne croit pas en tout cas qu’il est nécessaire de détruire toutes les populations. Il est remplacé par Lothar von Trotha, qui est un personnage sinistre et proclame en 1904 un ordre d’extermination totale des Hereros, femmes, enfants, vieillards, avec ou sans armes. Et il se charge ensuite de mettre en place sur le territoire les premiers camps de concentration allemands.
Jakob, votre personnage principal, traverse tout cela. Mais comment prend-il position en fonction ou non de son amour pour Brunhilde ?
Il n’a pas beaucoup de décisions à prendre. Mais celles qu’il prend sont souvent mauvaises et la seule qu’il prend vraiment par rapport à Brunhilde, qui est la fille d’un marchand et qui est un peu l’opposé de Jakob, va causer sa perte.

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