On ne saura qu’à la toute fin du roman en quoi consiste cet Article 353 du code pénal qui lui donne
son titre. Tanguy Viel prend son temps pour y arriver, tandis qu’il a, dès le
prologue, fourni le principal élément du drame, et la raison pour laquelle Martial
Kermeur se trouve devant un juge : il a poussé à l’eau et laissé se noyer
Antoine Lazenec, avec qui il pêchait.
Le juge cherche à comprendre pourquoi Kermeur a commis un
crime qu’il ne songe pas à nier. La plus grande partie du livre est une longue
conversation de laquelle sont surtout reproduits les propos du coupable. On
remonte le temps, on voit arriver Lazenec, chaussures à bouts pointus, avec ses
beaux projets immobiliers qui vont transformer un château décrépi, propriété de
la commune, en station balnéaire dans la rade de Brest, bel investissement
locatif pour qui achètera les appartements à venir.
Les appartements ne sont jamais venus. Kermeur, comme
d’autres, y avait misé toutes ses économies, les indemnités de départ de
l’arsenal où il travaillait avant sa fermeture. Avec cet argent, il rêvait de
s’acheter un bateau – le même que celui de Lazenec, précisément. Au lieu de
cela, il a fait un chèque de cinq cent douze mille francs, en toutes lettres, à
Antoine Lazenec. C’était il y a six ans, quand on pouvait encore croire aux
promesses d’un baratineur capable de mettre ses interlocuteurs en confiance –
et en boîte.
« Une vulgaire
histoire d’escroquerie, monsieur le juge, rien de plus », dit Kermeur
dans les premiers moments de son interrogatoire, quand les faits lui
apparaissent soudain dans leur ensemble : « Et pour la première fois, je ressentais toute l’affaire d’un
seul mouvement, comme si, en disant cela, je l’avais photographiée depuis la
lune et que je regardais une planète prise dans ses grandes surfaces
bleues. »
Le ressort du crime est assez simple. Kermeur en a eu assez d’avoir été
roulé, il s’est fait justice lui-même, sans l’avoir prémédité – du moins le
suppose-t-on, ne prenons pas la place du juge qui doit peser le geste et ses
antécédents. Ceux-ci sont, on l’aura compris, l’essentiel du roman, et ce qui
fait son intérêt. Dès que l’on est entré dans la quête d’une logique chez
Kermeur, la curiosité oblige à aller jusqu’au bout, quand bien même tout n’est
pas explicable. La part d’ombre, faite d’émotions à moitié dites, de sentiments
inexprimés, le mystère qui entoure le fils de Kermeur, le silence des autres
protagonistes, voilà quelques ingrédients d’un sac de nœuds démêlé pour
l’essentiel par la parole. L’insuffisance de celle-ci appartient encore à la
narration, car les absences sont puissantes.
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