Découvert en français
avec Sukkwan Island, David Vann ne
déçoit pas ses lecteurs avec Désolations.
Il ne les surprend pas non plus, même si la traduction modifie cette fois le
titre original, qui aurait provoqué un écho trop sonore : Caribou Island. Nul ne s’étonnera donc
d’apprendre qu’un coin isolé de l’Alaska sert de cadre géographique. Avec
toutes les caractéristiques déjà rencontrées dans l’ouvrage précédent, parmi
lesquelles un climat rigoureux (le mot est faible) capable de taper sur les
nerfs aussi efficacement qu’un instrument de torture. Nul ne s’étonnera
davantage du caractère sombre (le mot est faible aussi) de Désolations.
Quand elle avait dix ans,
en rentrant chez elle, Irene a trouvé sa mère pendue aux chevrons.
L’information, fournie dès le début lors d’une conversation qu’Irene a avec sa
fille Rhode, se complète d’une annonce : la maison familiale sera bientôt
abandonnée pour qu’Irene et son mari s’installent sur l’île, en face. « C’était une bonne maison. Mais ton
père veut me quitter, et le premier pas, c’est de nous faire emménager sur
cette île. Pour donner l’impression qu’il a tout essayé. » Aux yeux de
son épouse, les intentions de Gary ne sont donc pas très pures. Même si le rêve
de la cabane au cœur d’une nature sauvage est ancien. Et si sa réalisation en
est l’aboutissement logique.
Mais deux logiques
s’affrontent. D’une part, celle de Gary, qui pense de toute manière avoir
raison et s’est persuadé de n’avoir pas pris seul la décision de changer d’air.
D’autre part, celle d’Irene, fatiguée depuis longtemps de vivre avec un homme
croyant inspirer le respect, opposée à lui par la seule force d’inertie qui
peut, en effet, passer parfois pour un consentement.
Le projet est mené sans
organisation. Gary y met toute sa volonté, Irene participe, cela ne suffit pas
à éviter les erreurs ni à contourner tous les dangers. La saison est mal
choisie pour commencer la construction de la cabane, il faut à chaque instant
lutter contre les éléments. Le vent souffle, la nuit tombe vite, le froid
paralyse. Comme Jim qui, dans Sukkwan
Island, rencontrait des difficultés
inattendues à préparer le séjour avec son fils, Gary a sous-estimé les
difficultés. Plus la cabane se monte, moins elle ressemble à quelque chose. Et
le regard d’Irene sur la construction se teinte d’un désespoir toujours plus
grand.
David Vann n’est pas un humoriste. Mais il
possède l’art de sonder les cœurs et les esprits jusqu’à y mettre en évidence
les sentiments les moins avouables, ceux que les personnages ne s’avouent pas à
eux-mêmes. Son talent pour la dissection psychologique lui fait découper, dans
le désordre, des amours fanées, des déceptions accumulées comme du vieux
cholestérol, des désirs contradictoires qui n’ont pas pris le chemin de la
réconciliation… Quand il aura déposé tout cela, aucune explication ne sera
nécessaire pour en arriver à une fin qu’on avait senti venir, même si on a
gardé jusqu’au bout l’espoir qu’elle soit différente. Mais, décidément, non,
David Vann n’est pas un joyeux drille partisan de happy end.
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