Pierre Veilletet, mort à 69 ans, a été d'abord, surtout journaliste - à Sud-Ouest, pour l'essentiel. Il a été lauréat du prix Albert Londres. Il a aussi présidé la section française de RSF (Reporters sans frontières) de 2003 à 2009. Mais il a également été écrivain. Je me souviens d'avoir été émerveillé par La pension des nonnes, son premier roman paru en 1986 - mais je n'ai pas retrouvé l'article que je lui avais consacré à l'époque. Il s'agit quand même de ne pas oublier l'homme qui aimait les livres au point d'avoir été impliqué dans la fondation d'Arléa, une belle maison d'édition où il a publié, par exemple, Coeur de père en 1992.
Journaliste bordelais, Pierre Veilletet est occupé, depuis quelques années, à s'imposer comme romancier capable d'utiliser, d'un livre à l'autre, des tons et des rythmes très divers. Coeur de père est un récit assez classique dans sa forme, et dont le sujet n'a en soi rien de très original: un homme à la recherche de son passé trouve l'image de son père et, à travers celle-ci, se réconcilie avec lui-même. Résumée ainsi, l'histoire paraît banale. Elle ne serait que cela en effet sans le talent de Pierre Veilletet qui lui donne une véritable consistance, la puissance d'un récit destiné à tous sous son aspect singulier, et une image forte comme ouverture en forme de programme: un enfant - le personnage principal, mais on ne le connaît pas encore - est dans son bain, milieu aquatique et féminin, et son père l'en arrache pour le lever haut dans la vapeur. Le passage, dans ce mouvement dont la description prend deux pages, de la crainte à la confiance, est le thème mélodique qu'il reste à reprendre sur, cette fois, toute la durée du roman.
Richard Freemont, qui séjourne en 1982 sur la côte Atlantique française, n'est pourtant pas à la recherche de son père, même si la paternité n'est pas absente de ses préoccupations. On découvre un peu à la fois, livrée par petites touches, comme les pièces d'un puzzle qu'on hésite à poser à un endroit précis, sa vérité provisoire, ses questions sur les éventuelles suites d'un séjour au même endroit, beaucoup plus tôt, à la fin de la guerre. C'est un curieux personnage, à la fois fuyant et très ancré dans quelques souvenirs, aimant les jeunes femmes, et pas seulement leur corps mais aussi leur disponibilité, taiseux ou bavard selon les moments. Il y a, on le pressent, une douleur secrète, une blessure cachée chez cet homme. Il reste à la connaître mieux - pour lui comme pour le lecteur, d'ailleurs.
On avance ainsi, à tâtons, dans un récit qui ne livre pas facilement ses clés. Mais tout est là, il suffit de se laisser guider dans le brouillard pour finir par tout comprendre. Et la destinée individuelle s'inscrit tout à coup dans une dimension qui la dépasse...
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