Prix du premier roman étranger, Black Rock est une de ces découvertes qui nous arrivent comme des
cadeaux grâce à la traduction. Amanda Smyth l’a publié en anglais en 2009, le passage vers la langue française ne s’est pas fait attendre (l'année suivante), sous
un titre qui est le nom du village, à Tobago, dans les Caraïbes, où Celia passe
son enfance. Pour l’anecdote, l’éditeur américain du roman a cru nécessaire de
le modifier en Lime tree can’t bear
orange, ce qui aurait probablement donné, en français, Les chiens ne font pas des chats…
A Black Rock, Celia vit avec sa tante Tassi et les filles
jumelles de celle-ci, Vera et Violet. La mère de Celia est morte en la mettant
au monde, lui a dit sa tante – mais elle a eu le temps de la voir et de dire
qu’elle était belle. Une beauté qui est une malédiction : depuis que Celia
a huit ans, Roman tourne autour d’elle. Il est le compagnon de Tassi, il a
accepté ses filles et sa nièce, mais c’est aussi un ivrogne et un bon à rien.
Celia a beau être prudente en sa présence, elle finira par subir sa violence,
puis elle s’enfuira de Tobago vers Trinidad.
Avant cela, le quotidien à Black Rock n’était pas si
désagréable, malgré la menace que représente la présence de Roman. Celia,
considéré à l’école comme une gamine intelligente, pouvait même espérer entrer
un jour à l’université. Mais son vrai rêve était de partir en Angleterre
puisque son père s’y trouve – croit-elle savoir.
Tous les rêves brisés après son viol presque annoncé, elle
se trouve malade et sans ressources à Trinidad, accueillie par une famille
grâce à William qui a eu pitié d’elle pendant la traversée entre les deux îles
et ne tarde pas à tomber amoureux.
Mais Celia est marquée par une prophétie qu’a faite Mme
Jeremiah, un genre de docteur, disent certains, tandis qu’elle fait peur à la
majorité des habitants de Black Rock pour qui elle est plutôt une sorcière.
Elle lui a dit : « Les hommes
te désireront comme ils désirent un verre de rhum. On le boit d’un trait et on
le pisse ensuite. Un homme t’aimera. Mais tu ne l’aimeras pas. Tu vas lui faire
du tort. Tu vas détruire sa vie. »
Sous l’aspect d’un roman mené classiquement, Amanda Smyth
développe plusieurs lignes de force.
Dans un récit linéaire, Celia grandit, devient femme, aime
et est aimée, avec les emballements et les craintes que cela suscite chez elle.
Le décor, planté avec précision dans les descriptions –
Celia aime la nature qui l’entoure, et la regarde attentivement –, est aussi le
cadre d’une société restée presque coloniale et esclavagiste. Où les relations
entre les possédants et les employés ne s’assouplissent que par la
sournoiserie. L’exploitation reste de
mise.
Et puis, dans un arrière-plan qui deviendra progressivement
plus visible, les secrets de la vie de Celia lui seront révélés, modifiant une
fois encore la vision qu’elle a d’elle-même, de sa mère, de ses tantes…
La romancière possède mieux que de l’habileté : le talent nécessaire à rendre son livre cohérent, chaque détail s’inscrivant dans un ensemble auquel chaque page est indispensable. Une véritable révélation, donc, que cette auteure d’origine irlandaise par son père et trinidadienne par sa mère. Deux faces qui constituent un monde.
La romancière possède mieux que de l’habileté : le talent nécessaire à rendre son livre cohérent, chaque détail s’inscrivant dans un ensemble auquel chaque page est indispensable. Une véritable révélation, donc, que cette auteure d’origine irlandaise par son père et trinidadienne par sa mère. Deux faces qui constituent un monde.
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