Au-dessous de ce volcan-là, en Equateur, il n’y a pas de consul alcoolisé. Mais un homme venu de nulle part, Tchaka. Personne ne connaît son histoire, Don Rodriguo Sixte, riche propriétaire, ne lui a rien demandé quand il l’a engagé comme jardinier. De sa vie ailleurs, Tchaka n’a gardé qu’un couteau, le goût du silence et une connaissance intime de la vie des volcans. Il observe avec circonspection Tungurahua, celui qui domine la ville de Naños de Agua Santa. Il interprète les manifestations encore discrètes de la vie souterraine comme les signes annonciateurs d’une prochaine éruption. Don Rodriguo ne veut rien entendre: ses terres ont toujours été épargnées par les coulées de lave, pourquoi en irait-il autrement cette fois-ci? Sa seule crainte est que l’étranger est «à ce point capable de voir un autre monde qu’il pourrait bien en provoquer l’avènement.»
Sur le flanc de la montagne, Lucia, qui vient du Mexique et a aussi beaucoup voyagé, rumine sa colère et se prépare à l’action. Sa colère est dirigée contre les passeurs qui, en échange d’une grosse somme d’argent, conduisent, mais sans garantie de réussite, les candidats à l’émigration vers les États-Unis. Beaucoup laissent toutes leurs économies dans l’aventure, pas mal y perdent la vie. Contre ce trafic, Lucia veut instaurer le passage gratuit, grâce à un ULM dont elle rassemble patiemment les pièces tout en préparant ses plans de vol. Elle n’attend plus qu’un moteur…
Mais Lucia, au contraire de Tchaka, ne comprend rien. Elle transfère sa passion sur les gens qu’elle croise et dont elle ignore s’ils ont envie d’émigrer vers une vie meilleure. D’ailleurs, serait-elle meilleure? Dolorès, qui tient une gargote où Lucia vient parfois, a beau lui expliquer qu’il ne sert à rien de partir, que même une grande colère du volcan n’empêcherait pas de reconstruire au même endroit, Lucia n’en démord pas.
Tchaka et Lucia ne semblent pas faits pour se rencontrer. Et, d’ailleurs, seul le hasard les met en présence. Puis ils aident un peu le hasard. Et le volcan les rapproche. Mais Franck Pavloff n’écrit pas vraiment une histoire sentimentale. L’auteur de Matin brun et du Pont de Ran-Mositar a trop à faire, trop à dire, trop à montrer pour se limiter à la trajectoire de ses deux personnages centraux.
Le grand exil rassemble donc une foule de personnages secondaires, parmi lesquels plusieurs ont toutes les caractéristiques d’une forte présence. Nous avons cité, déjà, Don Rodriguo – il faudrait y ajouter son fils, Manuelito – et Dolorès, parfaitement campés. Nous n’avons rien dit encore de Selmo, descendant d’esclaves, et de Rosa, sa maîtresse. Selmo, méprisé pour sa peau noire, promène les touristes aux environs des baleines et aide Lucia à trouver le moteur qui lui manque. Rosa voudrait que les gens soient plus responsables d’eux-mêmes. Mais elle aime surtout danser et éprouver le désir de Selmo.
Tous vivent dans un cadre magnifique. Même si la menace du volcan se précise au fil des jours, les fumées, les eaux chaudes, les plantes consumées de l’intérieur, le ciel porteur de nuages chiffonnés sont des éléments d’un décor indissociable du roman, et qui pèse sur lui.
Il y a, ici aussi, comme à Ran-Mositar, un pont. Curieusement nommé San Francisco. Sa présence offrira aux habitants, le jour où ce sera nécessaire, le chemin d’une fuite urgente. Qui partira? Qui restera? Après la catastrophe, la question restera posée, comme elle l’était avant. Le grand exil n’est pas pour tout le monde.
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