Déconcertant Antoine
Bello. Il avait poussé loin l’art du montage et du trompe-l’œil dans ses
ouvrages précédents : le diptyque Les
falsificateurs et Les éclaireurs,
puis Enquête sur la disparition d’Emilie
Brunet. On se demandait ce qu’il trouverait pour un nouveau tour de piste
éblouissant, poudre aux yeux et manipulations au service de la fiction. Et
puis… rien. Non, pas rien. Mais un registre plus classique, une construction
simple, éloignée de toute recherche formelle. Antoine Bello prouve ainsi qu’il n’a
pas besoin d’artifices pour séduire, car Mateo,
du nom de son personnage principal, est un livre qu’on ne lâche pas. Même si on
ne s’intéresse pas au football, puisqu’il n’est question que de cela. Et, bien
sûr, à travers le football comme dans le meilleur de la littérature qui utilise
le sport, des relations entre les êtres humains, des valeurs, de la société,
etc. De tout ce qui peut nourrir un roman.
Mateo Lemoine est, au
moment où il reçu au baccalauréat à dix-huit ans, un grand espoir du football français.
Patrick, son parrain et en même temps son agent, lui prépare un bel avenir dans
lequel la gloire et la fortune sont destinées à se conjuguer dans un bonheur
partagé avec Valentine, la petite amie idéale puisqu’elle est prête à suivre
Mateo partout où il ira. Les premières pistes sont solides : quatorze
propositions ont été déposées et les trois plus intéressantes ont de quoi faire
rêver en début de carrière. Manchester United, le Real Madrid et le Bayern
Munich. Avec des offres différentes, dont il faut peser les composantes :
le salaire, la durée du contrat, la certitude de jouer les championnats sans se
retrouver sur le banc des remplaçants, etc.
Patrick connaît tout cela
sur le bout des doigts mais écoute aussi les arguments de Françoise, la mère de
Mateo. Tout en maintenant une ligne directrice qu’il expose clairement : « La décision d’aujourd’hui ne doit pas
nous faire perdre de vue que l’objectif ultime consiste à installer la marque
Lemoine dans le cœur du public. Nous voulons rendre Mateo indispensable sur le
terrain, mais aussi dans les plans média des annonceurs. » Françoise
bondit : « mon fils n’est pas
un homme-sandwich. » Et le débat se poursuit, bien que l’opinion de
Patrick soit faite.
Celle de Mateo aussi, à
la surprise générale : au lieu de devenir professionnel, il veut gagner le
championnat universitaire avec l’équipe de Vernet. Son père entraînait cette
équipe jusqu’à sa mort dans un accident de car au cours d’un déplacement. Et
c’est en mémoire de lui, pour décrocher le titre qui lui avait échappé, qu’il a
pris cette décision mûrement réfléchie.
La scène, au début du
roman, détermine la suite. Mateo connaît l’étendue de son talent et le travail
qu’il a accompli pour s’améliorer dans tous les secteurs du jeu. Il sait qu’il
peut mener Vernet à la victoire. Il ignore encore, cependant, la taille des
obstacles à franchir. Pas tellement les équipes concurrentes, mais plutôt le
caractère entier d’un entraîneur qui voit d’un mauvais œil arriver une vedette
dans un groupe de qualité moyenne. Olivier Fischer, l’entraîneur en question,
qui a bien connu le père de Mateo, va faire rentrer celui-ci dans le rang avant
de comprendre qu’ils peuvent ensemble, l’un sur le terrain, l’autre à la
manœuvre, accomplir de belles choses.
Antoine Bello reste
concentré sur Mateo. Mais il s’agit maintenant de Mateo dans un groupe, et de
la manière dont s’établissent des rapports de force qui évolueront en
complicité. Pour cela, il faudra que tout le monde comprenne à quel point Mateo
est prêt à tous les sacrifices en faveur d’un collectif que sa présence
transcende. Pour autant, le championnat est loin d’être gagné d’avance et il
reste une saison à gérer.
Elle ne suffira
d’ailleurs pas, le romancier prenant plaisir à retarder le moment de gloire.
Retard qui aura des conséquences multiples sur la vie du joueur et de son
entourage, puisque tout est lié. Comme dans la vie.
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