Les Etats-Unis partis en
guerre contre l’Axe du Mal après les attentats de septembre 2001 n’ont pas
tardé à donner au fils Bush l’occasion de terminer ce que son père avait
commencé en Irak. Le fer et le feu s’abattent sur le pays de
« Satan » Hussein, des hommes pénètrent sur le terrain des opérations
et la guerre se révèle bien peu chirurgicale. On tue des femmes et des enfants,
on tire sur des cadavres pour être certain de leur mort, on compte les pertes
dans le camp américain.
Bientôt mille.
Bartle, 21 ans, et Murph, 18 ans, ne
veulent pas être celui qui atteindra le chiffre symbolique. Ils comptent
survivre, au prix d’un retour difficile à la vie civile puisqu’ils seront
marqués par leurs actes, comme la génération de la guerre du Viêt-Nam. Les
jeunes vétérans n’ont plus l’âge de leurs corps, ils ont celui de leurs fautes,
quand bien même ils les ont commises sur ordre…
Kevin Powers expliquait,
dans un texte donné au Monde au moment où il recevait le prix du roman étranger de ce quotidien,
comment était né ce premier roman où il transpose sa propre expérience de la
guerre d’Irak, quelles sont ses ambitions et ses limites : « Même si j’espère avoir réussi à
formuler une petite part de vérité sur cette guerre, ce que j’ai écrit n’est en
aucun cas un rapport ou un document. Ce n’est ni une thèse ni une prise de
position. J’ai plutôt tenté de dessiner les contours de la conscience d’un
homme qui puissent tenir, ne serait-ce que brièvement, le rôle du
souvenir. »
Le souvenir est puissant
et il va s’incruster pour longtemps dans la mémoire des lecteurs. Yellow Birds est un livre qui serre le
cœur autant par ce qu’il raconte que par la manière dont il le fait. Il
s’inscrit d’emblée dans la lignée des plus grands romans de guerre,
c’est-à-dire des livres qui s’intéressent autant à l’humanité des soldats qu’à
l’inhumanité de ce qu’ils vivent. Et dont ceux qui restent, parfois, ne se
remettront jamais.
La langue avec laquelle
Kevin Powers cerne les faits et les émotions est somptueuse, poétique et
concrète à la fois. Elle dit au plus juste la perte des repères et l’approche
de la folie, la poussière qui vole et le sang qui coule. Tout est si précis, si
nuancé, qu’on sursaute de rencontrer trois fois, pour décrire la neige, le même
vieux cliché du « manteau blanc ». Vérification faite dans l’édition
originale, on ne doit cette malheureuse répétition qu’aux traducteurs (1).
Pas de quoi gâcher… le
plaisir ? Pas exactement le plaisir, car il y a trop de douleur. Mais
plutôt l’impression d’être emporté, avec Bartle et son ami Murph, par une
énorme vague contre la force de laquelle on ne peut rien, sinon glaner quelques
détails sur lesquels le regard s’arrête et aussitôt après continuer le
mouvement. C’est d’une beauté prégnante, comme toutes les grandes tragédies.
(1) Kevin Powers a
écrit, chaque fois de manière différente : « the white
erasure », « a thin sheet of
blankness » et « that blank
canvas ».
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