Suffit-il de ne pas
croire au temps pour l’annuler ? De reconstituer dans les moindres détails
une journée vieille de 21 ans, « une
journée heureuse, où son épouse était encore en vie », pour la
revivre ? Knupp le croit, en tout cas, et lui qui est considéré par ses
voisins comme un vieil homme méchant réussit à convaincre l’un d’eux, Taler, de
participer à son projet. Taler n’a pas la même foi dans l’entreprise. Mais il
est prêt à se raccrocher à n’importe quoi dans l’espoir d’effacer le jour où,
un an plus tôt, Laure, sa femme, a été abattue devant la porte de chez eux. Il
est même prêt à y investir toutes ses économies et, puisqu’elles ne suffisent
pas, à détourner des fonds dans la société où il travaille pour payer les
factures d’un travail de précision : il faut refaire le jardin à
l’identique de ce qu’il était le 11 octobre 1991, trouver les mêmes voitures
que celles présentes sur le parking, se soucier de tous les détails dont pas un
seul ne doit échapper à l’œil dans la comparaison entre les photos de l’époque
et celles d’aujourd’hui.
Tout cela, Martin Suter
le présente comme une évidence, alors que le roman repose en réalité sur un
mécanisme très subtil. Le temps, le temps
fait mine de poser des questions qui dépassent l’entendement, pour mieux ne pas
y répondre. Ce n’est d’ailleurs pas nécessaire. L’écrivain suisse impose une
logique inhabituelle, et nous l’acceptons sans difficulté. Grâce, notamment, à
la tension qui habite un récit sournois dans sa construction, comme un piège
dans lequel il est presque impossible de ne pas tomber. Au moins jusqu’à la
scène finale qui remettra en question tout ce à quoi nous avions fini par nous
faire.
Les deux veufs, Knupp de
longue date et Taler plus récemment, ne partagent, au fond, que le sentiment de
la perte. Leur association est bancale, Taler s’en doute un peu et ne se laisse
pas distraire, malgré son implication dans le rêve de Knupp, de son véritable
but : trouver l’assassin de son épouse et se venger en le tuant. Mais sa
quête personnelle se heurte à ses propres errements intérieurs, à des
convictions fragiles qui le conduisent longtemps sur une fausse piste. Tout se
résume pour lui à cette vague impression : quelque chose a changé, mais
quoi ? Il refait le repas du soir où Laure est morte, boit la même chose,
allume une cigarette qu’il ne fume pas pour retrouver l’odeur qui accompagnait
sa femme. Et, dans les interstices, se joue la partie complexe qu’il finira par
gagner.
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