Dans une ancienne pizzeria nichée au cœur des montagnes de
Kabylie, Izouzen, le libraire qui en est devenu propriétaire, a gardé le four
et a préparé un repas à Tissam, Mounir et Lyès, de passage dans la région pour
des raisons complexes. La pizza avalée, Izouzen leur demande : « Vous connaissez L’âne d’or d’Apulée ? »
La question rappelle aux trois amis l’âne mort planqué dans
le coffre de leur voiture et à cause duquel ils ont quitté Alger. La question
les inquiète un peu, aussi : Izouzen doit connaître leur secret, mais
comment sait-il ? La question, enfin, renvoie à « Afulay-Apulée de M’Daourouch, premier romancier du monde,
premier auteur algérien » auquel Chawki Amari rend explicitement
hommage avant le début de L’âne mort,
son nouveau roman.
L’entreprise est donc fondée d’abord sur des échos
littéraires. Izouzen fait une lecture très personnelle de la métamorphose
survenue, dans L’âne d’or, à Lucius
que son amante a transformé en âne : « Si
tu te transformes en âne, c’est que tu l’étais déjà, sans le savoir. »
Et des lignes vaguement parallèles permettent aux deux romans, à presque deux
millénaires d’intervalle, de se rejoindre dans leur interprétation du monde.
Car Chawki Amari est aussi, dans son pays, un symbole de
l’impertinence telle que peut la pratiquer, non sans difficultés parfois, un
journaliste et dessinateur. Le réel n’est jamais très éloigné de ses textes les
plus écrits, au meilleur sens du mot. L’âne, qui ici s’appelle Zembrek, possède
une véritable biographie qui le lie à son propriétaire, Bernou. Bernou est
commissaire et sa part d’humanité se manifeste surtout par l’intense affection
qui le lie à Zembrek. Pour rien au monde il ne se séparerait de son âne, membre
de la famille à part entière et même, au fond, un des premiers.
Par ailleurs, et en vertu de sa fonction, Bernou est un
homme de pouvoir et d’argent, les deux éléments ayant depuis longtemps noué
d’excellentes relations sans tenir compte de la légalité. C’est donc à lui
qu’on fait appel, contre une juste rétribution, quand il s’agit de faciliter
des opérations commerciales pas très claires. Exactement du genre qui excite,
ces jours-là, le trio d’amis déjà évoqués plus haut, et à une altitude plus
élevée, dans un tout autre décor.
Tissam, Mounir et Lyès, en attendant le commissaire sur sa
pelouse du commissaire, jouent avec son âne. Jeu dangereux quand une piscine se
trouve à proximité et qui conduit la petite bande à embarquer l’âne mort, avec
l’espoir de cacher son cadavre le plus loin possible et d’échapper à la
vengeance de Bernou, qu’on imagine terrible.
Chemin faisant, Apulée fait son apparition, la poésie se fraie un chemin
dans les montagnes et le romancier emprunte les accents d’un conte
contemporain, faisant de L’âne mort
un roman à plusieurs niveaux de signification.
P.-S. Cet article était destiné à un autre support, avec lequel il est cependant trop difficile de travailler à distance pour que j'insiste...
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