Le lauréat recevra son prix le 5 juin mais le résultat des délibérations du jury qui célèbre la mémoire de Louis Guilloux en saluant un écrivain contemporain est connu: Abdourahman A. Waberi est le lauréat 2015 pour son dernier roman, La Divine Chanson.
Abdourahman A. Waberi était à Washington, où il enseigne à
l’université, quand nous l’avons interrogé sur La Divine Chanson, son nouveau roman. Qui, la géographie est
parfois bonne fille, se déroule pour l’essentiel aux Etats-Unis. Son fil
conducteur est la vie de Gil Scott-Heron, chanteur, compositeur, écrivain né à
Chicago en 1949 et mort en 2011. Mais l’auteur n’a pas voulu s’enfermer dans la
biographie traditionnelle. D’ailleurs, le narrateur est… un chat !
Pourquoi vous être
intéressé à Gil Scott-Heron ?
J’avais déjà interrogé
la création à travers une figure d’artiste. En revanche, je n’avais rien écrit
sur les Etats-Unis. Au départ, à la mort de Gil Scott-Heron, je voulais lui
rendre hommage en quelques feuillets. Puis je me suis pris au jeu, parce qu’il
avait dû toucher quelque chose au plus profond de moi. Très vite s’est posée la
question du narrateur. Le point de vue le plus naturel aurait été celui de sa
grand-mère, qui l’a connu de sa naissance à 12 ans et qui est ce que les
Antillais appellent le « poteau-mitan » de la famille. Mais, après
douze ans, cela posait un problème. J’aurais pu faire raconter l’histoire par
des femmes…
Et vous avez choisi
un chat !
Un jour, en faisant
mes recherches, dans une note en bas de page, j’apprends qu’il avait un chat
qui s’appelait Paris. Je n’avais même pas besoin de l’inventer, il avait existé
et c’était mon narrateur. J’ai appris plus tard que le dernier concert de
Scott-Heron s’est passé à Paris, près de chez moi, au New Morning.
Auriez-vous pu écrire
ce roman en grande partie américain sans vivre aux Etats-Unis ?
Oui et non… J’y étais
allé en 2000-2001, parce que j’étudiais l’anglais, mais je ne m’y étais pas
installé. Donc, oui, dans la mesure où j’avais cet imaginaire anglo-saxon. Mais
non, parce que je n’étais pas assez imprégné d’une ville pour m’autoriser à
écrire une fiction. Maintenant, j’habite au cœur du vieux Washington noir, là
où est né Marvin Gaye, près de là où habitait Duke Ellington, dans des lieux
fréquentés par des artistes noirs.
Dans le roman
revient, plusieurs fois, ce que vous appelez « la Chose ». Qu’est-ce
que c’est ?
C’est l’esprit vivant
de la musique, qu’on appelle funky, blues ou jazz, et qui circule dans les
Amériques noires, pas seulement aux Etats-Unis, et qui passe par Paris avec les
musiciens. Le jazz est, au fond, une chose obscure que même les spécialistes
n’arrivent pas à définir, donc c’est « la Chose ».
Pourquoi avoir appelé
le personnage Sammy Kamau-Williams, et pas Gil Scott-Heron ?
J’avais écrit une
grande partie du roman en utilisant son vrai nom. Puis, dans la dernière
partie, je me suis un peu lâché et je ne voulais pas entraîner le lecteur vers
une variation de la biographie d’un homme. A force de mûrir, le projet avait
changé, la part de fiction était devenue plus importante, il y avait plus de
fantaisie. Changer de nom m’autorisait, et autorisait le lecteur, à rêver
davantage.
Cela vous a-t-il
permis d’écrire sur des thèmes plus personnels ?
J’aurais pensé que ce
n’était pas un roman sur l’exil, sur la perte d’un pays, sur une société en
déshérence, comme je le fais souvent. J’aurais imaginé un livre situé loin de
moi. Mais, si vous dites qu’il y a une part de moi, je vous crois sur parole.
Il est question de
légendes, de contes, dans des passages souvent en italiques. Etait-ce son
univers, ou est-ce le vôtre ?
C’est là où le projet
devenait intéressant, en se plaçant dans le sillage du chat. Pour le dire d’une
manière musicale, j’ai mixé deux univers, deux langages : ce qu’on
pourrait appeler l’esprit des Noirs américains et des Noirs de la diaspora,
puisqu’on passe par le Brésil, la Jamaïque, Haïti, avec un univers plus
spirituel, qui serait orientaliste si on était dans la littérature française,
qui va géographiquement des contreforts de l’Afghanistan aux rives du Bosphore.
Donc, j’ai aussi travaillé sur la langue du Coran ou des Mille et une nuits.
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