On ne lit pas, qu'on soit dévoreur boulimique de littérature ou non, comme si on n'avait rien lu avant. Les éditeurs aiment, l'avez-vous remarqué?, citer de grands noms en guise de points de repère connus par tous (ce qui ne veut pas dire lus par tous). Le nouveau roman de Patrick Delperdange, qui sort cette semaine à la Série noire, et dont il sera question samedi dans Le Soir, est ainsi, sur la feuille volante faisant office de prière d'insérer dans les épreuves que j'avais reçues, rapproché de Faulkner et de Steinbeck. En outre, ce n'est pas tout à fait faux.
Mais, s'il faut dire la vérité, quand je lis un roman, il m'arrive beaucoup plus souvent d'être renvoyé à des souvenirs relativement frais. Sans qu'un livre se superpose à l'autre, des passages se créent entre eux, si bien que je sais pas toujours exactement où je me trouve. Cette incertitude peut être bénéfique. Elle le fut, certainement, dans le cas du nouveau roman d'Anne Plantagenet, Appelez-moi Lorca Horowitz.
J'ai pensé souvent au dernier (et magnifique) ouvrage traduit en français de Javier Cercas, L'imposteur, parce qu'il y a l'Espagne, probablement, et parce qu'il y a imposture, aussi.
J'ai pensé, en même temps ou à d'autres moments, au récent succès de Delphine de Vigan, D'après une histoire vraie, parce qu'il s'agit, dans les deux cas, chez Plantagenet comme chez de Vigan, d'une prise de possession, d'une identité volée. Chez Cercas, le personnage se crée une biographie en grande partie imaginaire, mais qu'il n'emprunte à personne, ou qu'il puise dans de multiples exemples, ce qui revient au même. Chez les deux romancières, une femme prend progressivement la place d'une autre.
Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas écrit: Appelez-moi Lorca Horowitz n'est pas un décalque d'un de ces livres. Il a son existence propre, il vibre des rapports entre la narratrice et son sujet, avec les questions multiples qui naissent devant l'intérêt peut-être suspect suscité par le second chez la première.
La petite secrétaire devenue arnaqueuse de haut vol, Lorca Horowitz, donc, est une femme aux ressources insoupçonnées, et d'autant plus dangereuse qu'elle a bien caché son jeu. Le jeu est séduisant, parce que ses règles, qui semblent inventées au fur et à mesure, nous sont exposées avec talent par une Anne Plantagenet pour qui les questions d'identité sont fondamentales. Elles l'étaient dans Trois jours à Oran, il y a deux ans. Elles l'étaient déjà, il y a cinq ans, dans Nation Pigalle, roman à propos duquel elle nous disait: « La question de l’identité
nationale, qui obsédait certains politiques l’année dernière, est présente… »
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