Si la vodka a gagné le match de la mondialisation (ce qui reste à vérifier, mais trois lectures récentes lui font la part belle), est-ce à dire que le bloc de l'Est en est lui aussi sorti vainqueur? Ou est-ce que les romans les plus anciens de John Le Carré, ceux de la Guerre froide, m'influencent à l'excès?
Dans La blonde aux yeux noirs, paru l'an dernier mais réédité la semaine prochaine en poche, dans la collection 10/18, Benjamin Black (alias John Banville), donne à Philip Marlowe, oui, "le" Marlowe de Raymond Chandler, l'occasion de prolonger ses gueules de bois. Et de donner un conseil au lecteur: "évitez de vous enfiler six bourbons après trois gimlets." Pas de vodka là-dedans, diront à juste titre les connaisseurs. Pour les autres, au passage, voici la seule manière, selon Marlowe, de préparer le gimlet (et ses dérives lamentables), dans le seul bar qui la respecte:
Victor’s est le seul bar que je connaisse où l’on prépare le gimlet comme il faut – c’est-à-dire, moitié gin et moitié jus de citron vert Rose’s sur un lit de glace pilée. Dans d’autres boîtes, on vous colle du sucre, des liqueurs amères et des gâteries dans cet esprit, mais ce n’est pas le vrai gimlet.
Je m'égare. Je voulais parler de vodka. Elle arrive au lendemain de ces excès, sous la forme pas si inhabituelle de vodka martini:
Mon apéritif se présenta sur un plateau rutilant. Il était froid et juste un brin onctueux, de sorte qu’il roula agréablement sur mes dents dans un flash argenté.
Voilà pour la vodka comme remède, si j'ose dire, à la gueule de bois - que le serveur, avec sa longue expérience, a décelée chez son client.
Et puis, il y a la vodka pour elle-même, parfois joyeuse ainsi qu'elle se présente dans le premier roman d'Olivier Bourdeaut, En attendant Bojangles, car le livre est à la fois joyeux et triste, tristesse noyée dans les sourires, parfois aussi dans la vodka, ainsi qu'il en va lors de cette soirée au restaurant du palace où Papa ne lésine pas sur les moyens de mettre l'ambiance, et où Maman y répond de son mieux:
Ils avaient même fait venir des musiciens russes à notre table. Maman était montée sur sa chaise pour tutoyer les étoiles et danser en faisant tourner ses cheveux au rythme furieux des violons et des verres de vodka, tandis que Papa applaudissait avec flegme, le dos bien droit, comme doivent le faire les vrais chauffeurs anglais.
Enfin, il y a la vodka sans le plaisir, par une sorte d'habitude presque morbide dans laquelle les vitamines du jus d'orange ne sont pas celles du bonheur. C'est la consommation méthodique que fait Yann Andréa de vodka-orange dans un bar parisien - le Bedford - en même temps qu'il essaie d'écrire les pages que Maren Sell attend pour leur livre en commun (L'histoire) qui se révèle un discours à sens unique, déprimant. Oh! il écrit, Yann Andréa! Mais surtout pour dire qu'il n'y arrive pas, ce qui n'aide pas à convaincre le lecteur de son envie de s'y mettre. Le velours rouge de la banquette reste faux, le Bedford est souvent vide, le texte ne trouve pas son rythme...
Comme quoi, la vodka, faut faire gaffe, quand même!
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