Ce livre-là n'est pas trop poussiéreux. On revient toujours à Georges Perec qui lui-même n'avait écrit qu'une Tentative d'épuisement d'un lieu parisien, sachant que tendre vers l'exhaustivité est à peu près comme marcher vers l'horizon. Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour? est son deuxième roman publié, après donc Les choses, Prix Renaudot 1965. On oublie souvent le deuxième roman, allez savoir pourquoi. On a tort. Celui-ci s'ouvre par une description fantaisiste de ce qu'il est - ou pas: Récit épique en prose agrémenté d'ornements versifiés tirés des meilleurs auteurs par l'auteur de comment rendre service à ses amis (Ouvrage couronné par diverses Académies Militaires)...
Si cela ne donne pas envie, c'est à ni rien comprendre. Envie des militaires à la retraite ou non, qu'on ne confondra pas avec les soldats qui mugissent dans nos campagnes (merci, Desproges), mais qui confondront allègrement les couronnements de leurs Académies avec ceux de n'importe quel autre jury. Envie de ceux qui ne confondent pas, aussi, dont vous faites partie, je le devine, et qui sans fléchir ni réfléchir allez, avec moi, vous jeter sur cette première page.
C'était un mec, il s'appelait Karamanlis, ou quelque chose comme ça: Karawo? Karawasch? Karacouvé? Enfin bref, Karatruc. En tout cas, un nom peu banal, un nom qui vous disait quelque chose, qu'on n'oubliait pas facilement.
Ç'aurait pu être un abstrait arménien de l'Ecole de Paris, un catcheur bulgare, une grosse légume de Macédoine, enfin un type de ces coins-là, un Balkanique, un Yoghourtophage, un Slavophile, un Turc.
Mais, pour l'heure, c'était bel et bien un militaire, deuxième classe dans un régiment du Train, à Vincennes, depuis quatorze mois.
Et parmi ses copains, y'avait un grand pote à nous, Henri Pollak soi-même, maréchal des logis, exempt d'Algérie et des T.O.M. (une triste histoire: orphelin dès sa plus tendre enfance, victime innocente, pauvre petit être jeté sur le pavé de la grande ville à l'âge de quatorze semaines) et qui menait une double vie: tant que brillait le soleil, il vaquait à ses occupations margistiques, enguirlandait les hommes de corvée, gravait des cœurs transpercés et des slogans détersifs sur les portes des latrines. Mais que sonne la demie de dix-huit heures, il enfourchait un pétaradant petit vélomoteur (à guidon chromé) et regagnait à tire-d'aile son Montparnasse natal (car il était né à Montparnasse), où que c'est qu'il avait sa bien-aimée, sa piaule, nous ses potes et ses chers bouquins, il se métaphormosait en un fringant junomme, sobrement, mais proprement vêtu d'un chandail vert à bandes rouges, d'un pantalon tire-bouchonnant, d'une paire de godasses tout ce qu'il y avait de plus godasses et il venait nous retrouver, nous ses potes, dans des cafés où c'est que nous causions de boustifaille, de cinoche et de philo.
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