Andreï Makine à l'Académie française, c'était prévisible. Même le grand (le très grand?) Frédéric Mitterrand s'était retiré quand Makine a fait acte de candidature. Il restait sept autres candidats, dont l'un a obtenu deux voix au premier tour et les autres, dans un touchant ensemble, zéro. Contre 15 pour Makine, qui va donc devoir constituer un comité pour lui payer son épée, mettre un beau costume un peu ridicule, et plancher sur un mot, voire sur plusieurs s'il participe aux séances du dictionnaire. Cela ne changera pas la face du monde, ni même de l'Académie. Mais me renvoie à la saison 1995 des prix littéraires où Makine avait été couvert de lauriers à ne plus savoir qu'en faire. Je m'étais énervé. Voici ce que j'avais écrit, une semaine après le Médicis qu'il avait partagé avec Vassilis Alexakis.
Très franchement, on n’y croyait pas. Bien sûr, l’académie
Goncourt avait clamé haut et fort, il y a une dizaine de jours, qu’elle s’accordait
dorénavant le droit de couronner un roman qui aurait déjà reçu un autre prix
littéraire. Bien sûr, on savait que cet accès de mauvaise humeur avait été
provoqué par une inquiétude : celle de voir échapper, par le
bouleversement du calendrier des prix, la possibilité de récompenser le livre d’Andreï
Makine, Le Testament français, donné
pour favori à peu près par tous les jurys. Mais, Andreï Makine ayant obtenu, lundi
dernier, le Médicis ex aequo avec Vassilis Alexakis, il paraissait assez
invraisemblable de voir cette menace mise à exécution, au moins pour deux
raisons, l’une bonne et l’autre mauvaise.
La bonne raison, c’est que les prix littéraires d’automne, quoi
qu’on en pense, constituent un formidable outil de promotion de la littérature.
Et offrir deux couronnes à un seul titre (et même trois puisque le Goncourt des
lycéens s’y ajoute, mais l’enjeu est très différent pour les jeunes lecteurs) est
le plus sûr moyen de renforcer une tendance malheureuse du monde de la
librairie, à savoir une diminution du nombre d’ouvrages attirant un large
public. Le fossé se creuse entre les best-sellers et les autres livres, et
toute personne ayant les moyens de lutter contre cette dérive a le désir de le
faire. C’est du moins ce qu’on croyait. Il est apparu hier que l’académie
Goncourt regroupait des écrivains qui, pour une partie d’entre eux au moins, n’appartiennent
pas à cette catégorie de personnes. Autant dire que la légitimité de cette
institution s’en trouve fortement diminuée à nos yeux.
La mauvaise raison, qui pouvait cependant converger avec la
bonne, c’est que les éditeurs habitués à courir après les prix littéraires – le
célèbre triumvirat Gallimard, Grasset et le Seuil – avaient été oubliés, cette
année, aussi bien par l’Académie française que par les jurys du Femina et du
Médicis français, ne décrochant pour Gallimard qu’un prix de traduction, et
pour Grasset un prix de l’essai, tous deux bien moins rentables sur le plan des
ventes. La pression qu’ils pouvaient exercer sur les jurés du Goncourt a donc
dû être forte, mais n’a servi à rien, sinon à diriger quelques votes vers le
roman de Franz-Olivier Giesbert, La
Souille.
Voici donc Le
Testament français, d’Andreï Makine, nanti de deux prix et demi, et son
éditeur, Simone Gallimard, honorée à titre posthume pour avoir (bien) défendu
son « poulain ».
Mais que nous reste-t-il, après avoir dénoncé cette
mascarade, à dire du livre que nous n’ayons pas déjà écrit il y a une semaine ?
Rappelons donc brièvement qu’il s’agit de l’histoire d’un
jeune Russe fasciné, à travers une femme, par la langue française et par la
culture d’un pays qui lui semble être une sorte d’Atlantide. Partagé entre deux
langues, deux univers, il raconte ce qui est d’abord pour lui une déchirure
avant de devenir, après la réconciliation avec lui-même, une richesse.
Le sujet est touchant mais son traitement n’a rien de très
excitant. Roman classique de bonne facture, Le
Testament français ne méritait sans doute pas d’être l’objet d’enjeux aussi
considérables. Avouons-le : nous n’avons pas compris pourquoi différents
jurys se disputaient à ce point l’honneur contestable de mettre ce livre dans
le palmarès de leur prix. La bataille se serait déroulée autour d’un
incontestable chef-d’œuvre qu’on aurait pu l’accepter, mais nous sommes loin du
compte.
Peut-être faut-il donc interpréter ce qui s’est passé en
fonction d’une autre motivation, qui sera jugée bonne ou mauvaise selon les
interprétations : le souci d’offrir un ballon d’oxygène à une maison d’édition,
le Mercure de France, dont l’avenir semblait compromis après la disparition de
sa directrice.
Terminons cependant par une anecdote liée à la carrière de l’auteur,
Andreï Makine, qui signe ici son quatrième livre. Les premiers avaient été
présentés comme étant traduits du russe, parce que leur auteur n’osait pas se
présenter comme un écrivain de langue française. Du moins ce droit lui a-t-il
maintenant, et de quelle manière, été reconnu.
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