Après que Barrett a vu une lumière fantastique, un soir,
au-dessus de Central Park, il veut croire à un signe annonciateur de bonnes
choses. Pas seulement des événements positifs mais bien des retournements de
situation extraordinaires, des miracles du genre auquel il ne croit pas, mais
la pensée magique présente quelques avantages sur la pensée rationnelle. Car
nous sommes, au début de Snow Queen, en novembre 2004 et un deuxième mandat présidentiel de George Bush
semble probable, même si tout le monde, dans l’entourage de Barrett, l’envisage
comme une catastrophe.
Dans le domaine des catastrophes, Barrett est un
spécialiste : il vient, une fois de plus, de se faire larguer – mais c’est
la première fois qu’il l’apprend par un texto de cinq lignes – et, surtout,
Beth, la compagne de son frère Tyler chez qui il vit, souffre d’un cancer
annonciateur d’une mort prochaine. S’agissant de la seule femme qu’il peut
considérer, autant par amitié qu’en raison de la cohabitation, comme une épouse
approximative, lui qui n’envisage aucune relation avec une personne du sexe
opposé, la perspective est sinistre.
Mais voici l’effet bénéfique de la pensée magique :
sans explication, le corps de Beth se régénère et sa maladie recule. Guérison
ou rémission provisoire ? La suite le dira, puisque le nouveau roman de
Michael Cunningham se termine quatre ans plus tard, au moment où Barack Obama a
de bonnes chances de l’emporter malgré la présence de l’effrayant
« ticket » John McCain-Sarah Palin.
L’anecdote, chez l’auteur des Heures, est le prétexte à une exploration en profondeur des
émotions et des variations psychologiques qui affectent ses personnages et
leurs relations. Le lien entre les deux frères, Barrett et Tyler, se voile de
quelques omissions. En effet, s’ils prétendent tout se dire, ils gardent quand
même, chacun de son côté, quelques secrets inavouables. Barrett ne parle pas à
Tyler de sa vision nocturne, peut-être parce qu’il craint d’être moqué,
peut-être aussi parce qu’il se demande parfois s’il ne l’a pas rêvée. Tyler, de
son côté, cache soigneusement à Barrett qu’il continue à se droguer, parce
qu’il veut paraître sorti de cette période de sa vie.
Leurs ambitions sont très éloignées : Barrett n’est
jamais aussi heureux qu’en pliant des t-shirts dans la boutique de Beth et son
amie Liz, où il est un vendeur discret et efficace, Tyler rêve de composer des
chansons aussi bonnes qu’il le voudrait, et d’en vivre. Peut-être cela
arrivera-t-il, s’il ne se jette pas par la fenêtre lors d’un mauvais trip…
Les possibilités sont ouvertes pour la plupart des
protagonistes : la vie ou la mort pour Beth, l’amour ou la solitude pour
Barrett, le succès ou l’indifférence pour Tyler. Il en va de même avec les
personnages secondaires, dont certains, on pense en particulier à Liz, occupent
une place importante dans le réseau affectif ainsi bâti sur des bases solides
mais qui n’échappent pas aux fêlures.
A travers ces fêlures se glissent des flocons de neige,
composés comme on sait de fragiles cristaux tous différents, qui arrivent, au
début du roman, jusque dans la chambre de Beth et Tyler. La fenêtre est
ouverte, ils « tombent en tourbillonnant
sur le plancher et au pied du lit. » Est-ce un de ces cristaux qui se
glisse sous la paupière de Tyler et lui irrite l’œil ? La scène aura son
écho tout à la fin quand Tyler, éprouvant une gêne qui ressemble à celle d’il y
a quatre ans, retrouve le moment passé : « Un souvenir inattendu lui traverse la mémoire (et il ne date pas
d’hier !) : ce cristal de glace qui était entré dans la chambre – il
y a combien de temps ? Quand Beth était mourante […] ; quand Tyler
était sorti du lit et avait refermé la fenêtre ; quand il était tellement
sûr de pouvoir tout prendre en charge, tout le monde… »
Ainsi, Michael Cunningham tire des fils discrets qui traversent les époques : 2004, 2006, 2008, trois moments pendant lesquels s’écrivent les destins croisés de quelques hommes et femmes dont nous nous sentons proches pour les avoir connus aussi bien, mieux peut-être, qu’ils se connaissaient eux-mêmes.
Ainsi, Michael Cunningham tire des fils discrets qui traversent les époques : 2004, 2006, 2008, trois moments pendant lesquels s’écrivent les destins croisés de quelques hommes et femmes dont nous nous sentons proches pour les avoir connus aussi bien, mieux peut-être, qu’ils se connaissaient eux-mêmes.
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