vendredi 10 novembre 2017

Roger Grenier, un siècle de littérature

Par Secretaría de Cultura de la Presidencia de la Nación [CC BY-SA 2.5 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.5)], via Wikimedia Commons
Roger Grenier avait l’œil pétillant et la voix douce. La littérature est une passion discrète qui prolonge l’existence. Au sens figuré, bien sûr, mais parfois aussi au sens propre : l’écrivain qui vient de mourir à 98 ans avait tout de l’homme vivant avec et pour les livres. Pas seulement : il a été journaliste, à Combat où Camus l’avait engagé, puis à France-Soir. Mais il a surtout écrit une cinquantaine de livres et a participé à l’éclosion de bien des auteurs. On se souviendra toujours de l’avoir croisé au Salon du Livre et de la Presse, à Genève, en mai 1985, et du moment où il nous a glissé à peu près ceci : « Je m’occupe du premier livre d’une jeune romancière très prometteuse. Elle s’appelle Sylvie Germain, retenez son nom. » Il ne se trompait pas sur les qualités de la promesse.
Editeur chez Gallimard depuis des temps immémoriaux, il y avait bien entendu côtoyé tout le monde. Quand François-Henri Désérable écrivait Un certain M. Piekielny, paru à la rentrée, il cherchait des renseignements sur Romain Gary et ce mystérieux personnage dont il se demandait s’il était réel ou imaginaire : « C’était à Roger Grenier qu’il fallait poser la question. Roger Grenier, quatre-vingt-quinze ans, écrivain, éditeur chez Gallimard où […], qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, il se rend à pied chaque jour que Dieu fait. […] Quand je l’ai rencontré il ne se levait plus aussi tôt. Mais il continuait, chaque jour, de descendre à pied la rue du Bac jusqu’aux éditions Gallimard où, fin 2014, par un après-midi sans soleil il me reçut dans son bureau où il avait reçu, pêle-mêle, Bernard Wallet, grand homme et grand cœur, éditeur et athlète, Blondin et sa « silhouette fragile, un peu inachevée », Gallimard, Gaston, le patriarche, en costume bleu-gris et en nœud papillon, Prévert, du temps où « même assis il ne tenait plus debout », Sartre, l’œil vrillant derrière le verre de ses lunettes et le nez camus, Camus, l’ami intime, intimidant, rencontré à Combat, du beau monde, donc. »
Roger Grenier n’était pas que ses souvenirs auxquels Désérable et beaucoup d’autres ont fait appel – et à qui va-t-on demander, maintenant, ce détail que personne d’autre ne peut fournir ? Il a construit une œuvre saluée par de nombreux prix littéraires : Prix Femina en 1972 pour Ciné-roman, Prix Novembre vingt ans plus tard pour Regardez la neige qui tombe, un ouvrage consacré à Tchekhov dont son écriture est si voisine.
Comme Tchekhov, d’ailleurs, il a été un formidable nouvelliste – on sait que le genre conduit rarement au best-seller. Des recueils comme Une maison place des Fêtes (1972), La salle de rédaction (1977) ou La Marche turque (1993) impressionnent durablement.
Il fut peut-être surtout un lecteur de qualité, sa longévité dans cette fonction chez Gallimard en témoigne aussi sûrement qu’un ouvrage comme Le palais des livres (2011), un titre qui lui va si bien, sous lequel il avait rassemblé de courts essais nourris de textes croisés à toutes les époques (de sa vie et de la littérature), d’une pertinence jamais prise en défaut. Sous la modestie qui lui était naturelle perçait en effet un avis très sûr.

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