« Un des exemplaires de la bibliothèque de Babel », voilà
comment Antoine Bello, maître en falsifications littéraires, nous définissait
son roman Ada quand il est sorti il y a deux ans. Il est
maintenant paru au format de poche, dans la collection Folio, quelques jours
avant sa nouvelle œuvre, Scherbius (et moi), dont il a été question dans Le Soir.
Ada, qui donne son titre au roman d’Antoine Bello, a
disparu. Il ne s’agit pas d’une personne : Ada est un programme
informatique conçu pour écrire un roman qui se vendra à 100.000 exemplaires.
Voilà qui dépasse un peu la compréhension de Frank Logan. Pour être basé dans
la Silicon Valley, il n’en est pas moins flic et son domaine d’action est
constitué par le proxénétisme, la pédophilie et l’importation illégale de
travailleurs du sexe.
Il est, circonstance aggravante dans le cas de son enquête,
attaché au papier. Pour le dire en un mot, Frank Logan est obsolète. L’écart
qui le sépare des avancées de son époque ne se réduira pas en cours de roman,
au contraire. Chaque étape qui le rapproche de la machine l’éloigne de la
compréhension des enjeux littéraires et économiques dans lesquels il évolue
avec des points de repère d’un autre temps. Mais cela lui donne aussi,
paradoxalement, des atouts.
L’énigme est policière, sociétale et littéraire. On se
régale. Et on tente d’en savoir plus avec l’écrivain qui était, ce jour-là, à
New York.
Ada, est-ce un prolongement de la trilogie des Falsificateurs ?
Tous mes livres sont,
d’une certaine manière, un prolongement des Falsificateurs. J’explore depuis le début le thème de la
représentation du texte : une fois qu’on a créé un texte, qu’est-ce qu’il
suscite chez ceux qui le reçoivent et dans quelle mesure leur représentation
est-elle aussi vraie que celle de son créateur ? Le texte qui m’a
probablement le plus inspiré dans l’histoire de la littérature, c’est La
bibliothèque de Babel, où Borges imagine
une bibliothèque de dimension colossale où on trouve tous les textes possibles
quelque part sur une étagère. Ce que d’autres appellent falsification ou
univers virtuel, je l’appelle un des exemplaires de la bibliothèque de Babel.
Ici, on est passé de
l’homme à la machine…
On peut aussi
imaginer, même si pour l’instant Ada ne signe pas ses textes, qu’à terme une
intelligence artificielle signe un livre et que cela ne poserait aucun problème
au lectorat. Les gens, après tout, veulent être divertis avant tout. Ada
pourrait devenir un label aussi vendeur que Robert Ludlum ou Barbara Cartland.
Ou qu’un prix
Pulitzer ?
Oui, c’est la dernière
pirouette du livre qui dit que, quand bien même ces textes seraient écrits par
des intelligences artificielles, on aura probablement toujours intérêt, pour
des raisons de marketing et peut-être aussi par une forme d’ironie, à faire
croire aux gens qu’ils ont été écrits par de véritables auteurs.
La machine, Ada, est
malgré tout conçue par des hommes…
Oui, mais ce qui est
intéressant avec le débat sur l’intelligence artificielle, dont on commence à
parler en Europe mais dont on parle depuis longtemps aux Etats-Unis, c’est de
se demander si, bien que créé par l’homme, cela reste au service de l’homme. Il
est possible d’envisager un moment où ces machines nous échappent, soit parce
qu’elles prennent conscience de leur supériorité par rapport à nous, soit tout
bêtement parce que nous pouvons commettre des erreurs de programmation. Si, en
gros, vous disiez aujourd’hui à une intelligence artificielle qui serait en
charge de gérer les Etats-Unis d’augmenter le PNB américain, la première
décision de l’intelligence artificielle serait peut-être d’annexer le Canada ou
le Mexique.
La disparition d’Ada,
pour la société qui l’a conçue, s’apparente-t-elle à la disparition d’une
personne ?
Comme le dit Frank à
un moment, les ingénieurs de Turing sont beaucoup plus compétents en matière
d’informatique et sont les seuls à avoir une chance de retrouver Ada par ces
moyens-là. Ce n’est pas la police, qui n’est pas équipée pour ça. Mais Turing
fait appel à la police pour prendre date juridiquement. Il y a, dans ces
entreprises de la Silicon Valley, un côté qu’on sous-estime souvent, c’est
l’importance de la sphère juridique. Tout, dans leurs contrats, est régi par
une couche de juridique extrêmement épaisse.
En découvrant votre
titre, on pense à Nabokov. Vous aussi ?
Non, ce n’est pas venu
de là, le prénom s’est construit sur un raisonnement. Puis, le clin d’œil m’a
plu.
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