lundi 18 mars 2019

Comment s’évader d’une vie bien remplie

Le titre du roman d’Antoine Bello qui vient de reparaître au format de poche est à double sens. L’homme qui s’envola, c’est l’histoire de Walker, qui pilote son avion et aime ça. Non seulement pour la facilité avec laquelle il lui permet de multiplier ses rendez-vous d’affaires – il dirige une société de transport concurrente de FedEx, bien que sur un territoire plus restreint, sans cesse à la recherche de nouveaux clients. Mais aussi pour le plaisir, perceptible dans les moments où il observe la Terre de haut, de cette vision aérienne à nulle autre pareille.
Walker a tout pour être heureux : le business est florissant, il aime Sarah, sa femme, et réciproquement, les enfants sont formidables. Mais voici le deuxième sens de L’homme qui s’envola, l’envers du décor : « Walker détestait sa vie. Son temps lui échappait. » Lui qui compte chaque seconde a adapté sa vie à un rythme infernal qui ne doit pas s’interrompre, où la gestion du détail compte : « il ne ramasse pas la monnaie dans les magasins ; il a calculé un jour le temps gaspillé à empocher les pièces et à se forcer à les réutiliser et a décrété que le jeu n’en valait pas la chandelle. » Il est à ce point investi dans cette logique de rentabilité qu’il en est devenu prisonnier. Le nœud coulant s’est resserré. Il est temps de s’envoler vers une autre vie…
Ce n’est d’abord qu’un rêve vaguement caressé, qui semble d’autant plus inaccessible qu’il ne veut pas faire de tort à Sarah et à leurs enfants. Mais il lit des livres sur le thème de la disparition volontaire, ses aspects pratiques, ses conséquences. Et accumule les connaissances en préparant son évasion. « Même si Walker n’envisageait pas sérieusement de tout plaquer, y penser lui faisait du bien. C’était un dérivatif, un exutoire dans lequel il se réfugiait chaque fois qu’il sentait l’étau du quotidien se resserrer sur lui. »
Pour passer du désir à l’acte, il ne manque que quelques éléments circonstanciels. La goutte qui fait déborder le vase, en somme. De quoi susciter l’accident d’avion calculé, dans un endroit peu accessible, et la fuite avec la perspective de passer pour mort. Sarah touchera la prime de l’assurance-vie. A condition, bien sûr, qu’il n’y ait aucun doute sur l’issue fatale.
C’est là où l’imagination d’Antoine Bello, qui avait mené la barque de Walker assez paresseusement dans la première partie, s’emballe et fournit matière à du romanesque de haut vol. L’entrée en scène d’un enquêteur spécialisé dans les cas de fausses disparitions marque le début d’un duel à distance entre deux hommes aussi décidés l’un que l’autre à l’emporter. Shepherd, célèbre dans son domaine de compétences, a écrit un ouvrage sur le sujet, où il se vante de ne pas connaître l’échec. Walker, en apprenant que Shepherd est à ses trousses, lit son livre et tente de déjouer ses méthodes. Chacun s’efforce de réagir comme l’adversaire en sachant que celui-ci fait la même chose, ce qui implique de le surprendre dans des raisonnements sophistiqués.
Jusqu’à l’épilogue, dernière surprise, on est embarqué avec plaisir dans un vol à la destination inconnue.

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