Disons-le tout de suite pour pouvoir l’oublier : Vinegar Girl, l'avant-dernier roman d’Anne
Tyler traduit en français (un autre, La danse du temps, vient de paraître chez Phébus), est « une turbulente réécriture de La mégère apprivoisée de Shakespeare à l’époque
contemporaine ». L’éditeur prévient mais rend-il service au texte en
le faisant ? Le livre n’a pas besoin de références, il tient parfaitement
debout sans cela, surtout dans les moments où il se redresse après avoir
vacillé. Car les occasions de tomber ne manquent pas.
Il est question, en gros, mais aussi dans le détail, des
relations entre les hommes et les femmes.
Côté masculin, ils sont principalement deux. Le docteur
Baptista, éminent chercheur qui travaille sur les maladies auto-immunes, est
totalement absorbé par sa tâche et ne prête qu’une attention distraite à sa
famille (deux filles, on y vient), surtout depuis la mort de son épouse. Aux
yeux des responsables de subventions, il semble tourner en rond et peut-être
n’obtiendra-t-il jamais aucun résultat, bien qu’il soit persuadé du contraire
et croie toucher au but. Mais, pour cela, il a besoin de la présence de son
assistant, Pyotr, que son patron et beaucoup d’autres appellent souvent Pyoder,
faute d’arriver à prononcer correctement son prénom. Faute aussi d’accomplir
l’effort nécessaire. Or le visa de Pyotr expirera bientôt et Baptista cherche à
le faire renouveler.
Il a imaginé d’utiliser Kate, sa fille aînée, vingt-neuf
ans, assistante dans une école pour petits et, surtout, un esprit indépendant
qui reçoit la proposition de son père comme une gifle : il s’agit en effet
d’épouser Pyotr qui, grâce au mariage, aurait le droit de rester aux Etats-Unis
et de prolonger, du même coup, son aide aux travaux de Baptista. Kate n’est pas
assez émancipée, contrairement à ce qu’elle pense, pour ne pas être encore, au
plus profond d’elle-même, une fille obéissante. D’ailleurs, à force de subir
les assauts de son père, Kate laisse l’hypothèse cheminer en elle et résiste de
moins en moins… jusqu’à finir par accepter, en posant de nombreuses conditions.
Sa jeune sœur Bunny est horrifiée : elle n’a l’âge d’aucune autorisation
paternelle et Kate veille à ce qu’elle se conforme aux règles, mais elle n’aime
rien tant que les transgresser. Ce mariage arrangé, purement formel en
principe, lui semble aberrant.
Le sujet est grave, il est traité avec une irrésistible
drôlerie. La fausse naïveté du père qui ne voit pas où serait le mal, les
manœuvres maladroites de Pyotr pour se rapprocher de Kate, les efforts peu
convaincants de celle-ci pour préserver sa liberté, les commentaires de Bunny
qui fusent de manière imprévisible, tout cela fait un spectacle de choix.
D’autant qu’il s’y ajoute les réactions de l’entourage, non prévenu de
l’artifice, et pour lequel Kate a fait le bon choix – il serait encore meilleur
si elle acceptait aussi les fastes traditionnels de la cérémonie.
Shakespeare est grand mais la comédie d’Anne Tyler plaît tout autant.
Shakespeare est grand mais la comédie d’Anne Tyler plaît tout autant.
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