jeudi 2 mai 2019

Marc Levy sur la Cinquième Avenue (et en poche)

Marc Levy brouille les pistes dans son dernier (plus pour longtemps). Le titre, Une fille comme elle, désigne un personnage féminin. Disons tout de suite qu’elle s’appelle Chloé et gardons, comme l’auteur, le reste pour plus tard. Entre les chapitres, un dessin montre à quoi correspond ce dont on parle (Marc Levy n’a pas confiance dans l’imagination de ses lecteurs) et le premier représente un immeuble tout en hauteur de huit étages. Mais le personnage le plus attachant n’est ni l’immeuble, le N° 12 de la Cinquième Avenue à New York, ni Chloé. Plutôt Deepack, le liftier indien qui conduit avec doigté un vieil ascenseur capricieux comme il convient à son grand âge. On laissera aux lecteurs de Marc Levy le plaisir de découvrir cet homme, en même temps que Lali, son épouse digne de lui.
Chloé est une énigme : elle commence à tenir son journal dont le début est aussi celui du roman. Elle l’écrit, apprendra-t-on, en cachette de son père « parce qu’un journal est un jardin secret, voilà tout. » On reconnaît bien là le style d’un romancier qui n’a jamais craint les clichés, se disant qu’il était en mesure de leur redonner l’éclat du neuf. Cela fonctionne cependant moins bien que les coups de chiffon doux donnés par Deepack à la manette en cuivre de l’ascenseur.
Le mystère de Chloé est, croit-on, rapidement percé : elle avait des jambes, sur lesquelles elle courait allègrement, elle n’en a plus. Amputée sous les genoux, elle se trouve d’ailleurs, dans les premières pages, à l’hôpital. Pour savoir ce qui lui est arrivé, on a le choix. Ou bien on se laisse glisser paresseusement jusqu’au moment de la révélation, au dernier mot du livre. Ou bien on joue le jeu d’un lecteur de romans policiers comme Rivera, le collègue de Deepack qui le relève du soir au matin : « dénouer l’enquête avant le flic ». Il y a bien un flic dans cette histoire, mais sur une voie annexe au récit principal et il mène une enquête à laquelle lui-même ne croit pas plus que nous. Quant à la solution, elle est venue à l’esprit bien avant la fin, comme une évidence – ou comme la sortie trop visible d’un labyrinthe que son concepteur pensait avoir rendu complexe.
Deepack a un neveu, Sanji, venu de Mumbai pour financer le développement d’une plate-forme sociale plus apte que Facebook à nouer des liens entre des personnes qui n’étaient pas faites pour se rencontrer. Suite à des coïncidences et des péripéties que vous découvrirez au fur et à mesure, Sanji et Chloé se rapprochent – en l’absence de toute plate-forme sociale, et alors qu’ils n’étaient pas non plus faits pour se rencontrer. Ainsi va le destin des personnages dans un roman d’été digne de ce nom, conçu pour mettre du baume au cœur des lectrices et lecteurs désemparés par le monde qui les entoure.
L’ambition littéraire de Marc Lévy est minimale, en particulier si on compare Une fille comme elle à un des plus célèbres romans situés dans les appartements d’un immeuble : La vie mode d’emploi, de Georges Perec. Il y a, dans les deux livres, une sorte de vue en coupe dans laquelle nous voyons à quoi s’occupent des personnages très différents les uns des autres mais que rapproche la géographie des lieux. Ensuite, il appartient à l’auteur de les mettre en relation, de les faire coexister, de leur donner une épaisseur digne de remplir la fameuse vue en coupe. C’est l’exercice virtuose auquel se livre, selon des combinaisons subtiles, Georges Perec. C’est celui auquel ne se hasarde pas Marc Lévy dont l’axe romanesque est la ligne droite d’une cage d’ascenseur. On ne lui reprochera pas d’imposer à ses fans un travail de déchiffrement auquel ils ne s’adonneraient peut-être pas volontiers.
Sur une échelle (subjective) des valeurs dont on aurait enlevé Georges Perec, hors catégorie, pour ne garder que les autres romans de Marc Levy, considérons que celui-ci a fait un peu mieux que la fois précédente (La dernière des Stanfield). Tout est relatif.

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