jeudi 26 décembre 2019

La mort d'Ari Behn, pas seulement époux de princesse

L'écrivain norvégien, qui vient de se suicider à 47 ans, était surtout connu de la presse people pour avoir épousé, en 2002, la princesse Martha Louise de Norvège (le divorce a mis fin à leur relation, dont trois filles étaient nées, en 2016).
On vous dira moins que son roman traduit en français par Céline Romand-Monnier, Les hommes passent à Tanger, paru chez Actes Sud en 2006, est excellent. Le journal d'un lecteur vous l'affirme, et je m'en explique.

Andy est un jeune Norvégien dont l’allure et les longs cheveux blonds attirent les regards. Mais il ne les cherche pas : la route est longue jusqu’à Ouagadougou, qu’il a décidé de rejoindre lentement pour y retrouver son amie. Il est prêt à accueillir les surprises du voyage, et même à supporter, de la frontière espagnole à Madrid, un groupe d’Anglais éméchés qui vont assister au match entre le Real et Manchester United.
En revanche, il refuse l’aide du très complaisant Antonio Valderon qui lui agrippe le bras et lui pince les fesses en gare de Madrid, tentant d’abord de lui vendre une place pour le match puis se proposant de le guider vers l’Afrique que, dit-il, il connaît mieux que personne. Avec son costume blanc, sa chemise jaune, son foulard de soie à pois rouges, ses chaussures blanches à bouts pointus et son parfum qui empeste, Valderon est la caricature de l’importun. L’importun s’accroche au beau blond : de son apparition à la troisième page jusqu’à la fin, il ne cessera plus d’accompagner Andy. En faisant tout pour le conquérir.
Résolument hétérosexuel, le voyageur novice se laisse néanmoins, petit à petit, entraîner dans les dérives de Tanger, une ville où il n’est pas loin de rester, épave parmi d’autres épaves dans un univers hétéroclite.
Les hommes meurent à Tanger et lorsqu’ils se réveillent, ils sont tous devenus homosexuels, dit Jefferson Orlando qui se veut écrivain. Un des nombreux personnages qui hantent la ville et dont aucun n’est tout à fait ce qu’il dit être, ni même ce qu’il croit. Tanger, dans le beau roman de Ari Behn, est un piège où se laissent prendre des êtres pathétiques.
Même l’icône absolue, Paul Bowles – mais sa femme avait beaucoup plus de talent, répète-t-on à qui veut bien l’entendre –, ne ressemble plus qu’à un mourant, presque éteint.
Dans ce climat déliquescent où la perversion s’enorgueillit d’être voyante, Andy fait donc de la résistance. Mais oublie progressivement le but de son voyage. Et quand, dans un sursaut d’énergie, il reprendra la route, ce sera pour connaître d’autres aventures qui l’amuseront de moins en moins.
Le romancier norvégien qui signe ce livre, son deuxième, est l’époux d’une princesse. Un époux remuant : Les hommes passent à Tanger a fait scandale dans son pays, nous dit l’éditeur français. Un bien beau scandale, sur fond de tourisme sexuel et de cul-de-sac – dont Andy s’extraira de justesse, bien qu’il soit peut-être déjà trop tard pour lui.

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