Les 250 étudiants belges qui ont choisi Le ghetto intérieur corrigent, d'une certaine manière l'absence de Santiago H. Amigorena des principaux palmarès d'automne. Je m'en réjouis.
Dans son premier livre, Une
enfance laconique (1998), Santiago H. Amigorena déclarait : « je
n’ai jamais parlé, j’ai toujours écrit. » A présent, Le ghetto intérieur explique pourquoi. Et comment les ouvrages
parus depuis constituent un ensemble en six parties dont le plus récent est, en
fait, à l’origine : « Il y a vingt-cinq ans, j’ai commencé à écrire
un livre pour combattre le silence qui m’étouffe depuis que je suis né. »
Voici donc la source à laquelle la parole s’est tarie, dans un
mimétisme avec le silence où s’est enfermé, comme dans un ghetto intérieur,
Vicente Rosenberg. Il est arrivé en Argentine en 1928, a épousé Rosita, trois
enfants sont nés, la vie était plutôt bonne, en particulier grâce au père de
Rosita qui avait chargé Vicente de diriger un magasin où il vendait les meubles
fabriqués par l’entreprise familiale.
Mais la mère de Vicente, enfermée dans le ghetto de
Varsovie, bien concret celui-là, donnait des nouvelles de plus en plus
alarmantes. Lisant les lettres qui arrivaient de loin en loin, Vicente envoyait
un peu d’argent, réclamait mollement le départ de sa mère pour qu’elle le
rejoigne dans un exil plus sûr que la survie précaire du ghetto, et les risques
bien plus inquiétants ensuite.
Mollement : tout est là, en un sens. Quand il sera trop
tard, Vicente se sentira coupable de n’en avoir pas fait assez pour emporter la
décision de sa mère. Rosita, qui se désole de voir Vicente s’étioler, est
incapable du moindre geste qui pourrait soulager son mari, car elle a compris
le fond du problème : « ça ne sert à rien d’essayer de soulager sa culpabilité
– tout simplement parce qu’il a raison de se sentir coupable. »
Vicente savait ce qui se préparait, ce qui allait arriver,
sans vouloir le savoir. Une réalité impensable, à laquelle aucune justification
n’est nécessaire tant elle impose son évidence. « Hier ist kein
warum », écrira Primo Levi dans un texte que Vicente lira plus tard,
« ces mots qui résument la volonté que les nazis ont eue, dans les camps,
de créer un espace absolument différent, un espace où il n’y aurait pas de
pourquoi. »
Il n’y a pas non plus de réaction possible à une situation
qui n’offre aucune prise. Vicente fuit, dans le jeu et le silence. Ses amis se
demanderont comment il a pu tant vieillir en quatre ans. Il est débordé par les
événements, impuissant à maîtriser sa propre vie puisqu’il n’a pas réussi à
agir…
Retenu, au bord du souffle,
Le ghetto intérieur est un livre qui
empoigne l’âme. On le quitte sans le quitter vraiment, il en restera toujours
quelque chose, chez Amigorena comme chez nous.
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