Pour un mensuel culturel français, un journaliste rencontre
Emma Becker. Il remarque chez elle une « discrète absence de
soutien-gorge ». Il est question du troisième roman de l’autrice, La Maison. Curieuse entrée en
matière ? Oui. Déplacée ? Pas sûr : le livre raconte deux années
de la vie d’Emma Becker dans un bordel de Berlin.
Une expérience de certaines limites de la sexualité dans le
but avoué (pas sur le lieu de l’activité) d’écrire sur le sujet, en
connaissance de cause. Une démarche plus consciente que chez d’autres femmes
ayant pratiqué et raconté la prostitution, pensons à Grisélidis Réal ou à Nelly
Arcan. On la rapprochera plutôt, au risque de faire bondir quelques âmes pures,
des six mois pendant lesquels Florence Aubenas a cherché du travail en
demandeuse d’emploi anonyme pour écrire Le
quai de Ouistreham. La journaliste citait des exemples antérieurs :
« un Américain blanc est devenu noir, un Allemand blond est devenu turc,
un jeune Français s’est transformé en SDF, une femme des classes moyennes en
pauvre, et je dois en oublier. » En voici donc une nouvelle version, sur
un autre terrain.
Il y a de l’audace à s’y lancer. Emma Becker n’est pas une
débutante, ses premiers romans, Mr.
et Alice, l’ont plongée dans le grand
bain de la littérature. Il était déjà question de relations entre femmes et
hommes – dans les deux cas, l’homme était plus âgé que la femme et la
possibilité d’une autofiction était proposée. S’agissait-il d’une initiation
nécessaire avant de tâter l’eau de l’autre grand bain de la prostitution ?
(Elle précise souvent sa légalité en Allemagne, ce qui évacue, sinon le point
de vue moral, au moins quelques autres questions.) Peut-être. Mais ses
collègues, dont elle fait des portraits souvent attachants, n’ont pas toutes
franchi les étapes préliminaires…
« Ma vie, c’est d’écrire, alors je peux bien faire
semblant pendant quelques mois encore d’être une pute – et si des mecs comme le
Grec y croient, c’est que je suis une bonne actrice », glisse-elle, et
pourquoi ne pas la suivre ? Les scènes réalistes sont nombreuses, elles
n’écartent ni les aspects les plus glauques ni la possibilité de moments
agréables. Il est vrai qu’après une période passée dans un bordel moins
reluisant que la Maison à laquelle elle s’attache, elle bénéficie de conditions
idéales pour une pratique bienveillante. Il s’agit, au fond, de prendre soin de
ses semblables, par le sexe, affirme-t-elle.
Mais alors, pourquoi, comme
une de ses copines qui avait lu une première version du texte, l’avons-nous
trouvé « très triste » ? En partie, sans doute, à cause de la
surabondance de sperme et d’autres humeurs corporelles, que la vie sociale ignore
et qui renvoient à une condition naturelle pas si joyeuse qu’on le voudrait.
Mais aussi parce qu’il impossible de se défaire de l’idée qu’au fond, non,
décidément, si tolérant qu’on soit, cette condition n’est ni enviable ni même
acceptable. Le livre aura au moins servi à conclure ainsi.
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