Test matinal, peut-être rude pour un samedi : Nicole de
Buron, qui vient de mourir à l’âge respectable de 90 ans, ça vous dit
quelque chose ? Si vous regardiez (trop, toujours trop) la télévision dans
les années soixante, peut-être avez-vous vu les 39 épisodes du feuilleton Les saintes chéries ? Nicole de
Buron en avait écrit le scénario et les dialogues, elle avait aussi travaillé
pour le cinéma avec l’oubliable (?) Gérard Pirès d’Erotissimo. Et publié un paquet de livres qui recoupent parfois le
reste de son travail. Ainsi Les saintes
chéries, dont voici, pour donner le ton, le premier paragraphe.
L’Homme ouvre un œil. Le referme. Se retourne. Se rendort. Passent cinq minutes. Ce silence vous réveille complètement. Vous appelez : « Chéri ? » L’Homme pousse un long gémissement et se cache sous les couvertures. Vous vous levez alors en soupirant et vous allez préparer le petit déjeuner. Lorsque vous revenez, l’Homme est assis sur le lit, les cheveux en broussaille, les yeux gonflés, l’air hagard. Il bâille à se décrocher la mâchoire. Vous inspectez sa gorge et vérifiez qu’il n’a pas d’angine.
Malgré cela, vous savez ce que c’est (ou non), l’insistance
amicale ou pesante d’attaché(e)s de presse qui se moquant pas mal de savoir si
vous appréciez ou pas les livres de l’autrice qu’elles vous apportent sous le
bras, repas compris (et un de plus si nécessaire, offert par la Compagnie des
Bateaux Mouches fondée par le mari de Nicole de Buron – corruption ? je m’interroge
encore), –, fit que j’ai non seulement lu mais aussi croisé Nicole de Buron. Ce
qui, en trois articles, donna ceci.
C’est quoi, ce petit boulot ? (1989)
Nicole de Buron découpe en tranches la vie d’une femme, accompagnée
de son mari, de son travail, de ses deux filles. La recette est simple mais
efficace, elle l’a prouvé déjà dans quelques livres qu’on a trouvés, au moment
de leur parution, en grosses piles dans les librairies. Celui-ci n’échappe pas
à la règle. Et pourtant, le lisant, on se dit que la recette est bien usée…
« Petite Chérie » – ne pas confondre avec « Fille
Aînée » – passe son bac, hourrah ! et s’invente de petits boulots
pour la durée des vacances… qui se prolongeront au hasard des rencontres et des
projets. C’est le règne de la débrouillardise, quitte à taper maman d’un coup
de main ou d’une lessive si c’est nécessaire. Passe encore pour le sujet, on en
a vu d’autres, et de pires.
Mais le ton ! l’écriture ! Une sorte de langage
parlé qui résumerait tous les tics de l’époque. Le genre de vocabulaire qui
sera démodé dans six mois, si ce n’est déjà fait. À force de vouloir à tout
prix garder le contact avec la jeunesse, Nicole de Buron tombe souvent dans le
ridicule. Mais on nous dit qu’il ne tue plus…
Où sont mes lunettes ? (1991)
Nicole de Buron rit haut : au restaurant, il est
difficile de la rater. Le comble : ce n’est même pas pour se faire
remarquer, c’est tout simplement parce qu’elle n’a aucune raison de se retenir
quand elle est en joie. Et cela lui arrive souvent. Elle semble, du moins, davantage
portée sur l’humour que sur la haute philosophie. Et, si elle passe des pages
et des pages à raconter, dans ses romans, des malheurs quotidiens qui
pourraient être les siens, c’est sans s’apitoyer. Toujours, elle rebondit sur
les moindres problèmes pour essayer de faire rire les autres aussi. Cela marche
plus ou moins bien. Parce qu’il lui arrive, dans son souci d’utiliser tous les
moyens possibles pour le faire, d’aller trop loin – à notre goût –, de tomber
dans la complaisance au lieu de rester dans la caricature.
C’est ainsi que nous avions trouvé son roman précédent, C’est quoi, ce petit boulot ?, particulièrement
irritant à force d’adopter des tics de langage « jeune » qui ne lui
allaient pas du tout. Elle ne se fâche pas vraiment quand on lui dit cela, mais
elle se défend quand même vivement, expliquant que c’était un portrait-charge d’une
certaine jeunesse. Admettons. Comme on peut admettre qu’à une certaine époque
les films d’éducation sexuelle n’étaient pas des films pornographiques parce qu’ils
ne montraient des choses alors immontrables que sous prétexte culturel…
Bref, Où sont mes
lunettes ? est un livre plutôt plaisant sur le thème de l’âge qui
rattrape une personne ne s’y attendant pas le moins du monde. Parce qu’elle
reçoit un document très officiel lui annonçant qu’il sera bientôt temps de
penser à rassembler ses documents pour bénéficier de la retraite de la sécurité
sociale, la narratrice, écrivain, revient sur quelques épisodes de son passé. L’âge
n’est qu’un prétexte à parler d’autre chose, et en particulier d’amour. Puisque
c’est cela, la grande affaire du personnage principal !
Roman à caractère très autobiographique, Où sont mes lunettes ? n’est
cependant pas tout à fait fidèle à ce qu’a été la vie de Nicole de Buron :
« Par exemple, je n’ai pas de
fils », dit-elle avec malice, sachant bien que ceux qui la connaissent
l’y reconnaîtront malgré ce camouflage minimum.
Les lecteurs qui n’auront pas eu l’occasion de rire quelques
heures avec elle auront, pour leur part, une petite surprise : comme il s’agit,
d’une certaine manière, d’un livre-bilan, tout n’y est pas raconté sur le ton
de la plaisanterie.
« C’est la
première fois que j’essaie d’écrire un livre où je ne suis pas tout le temps en
train de rigoler. Je l’ai voulu comme ça, plus sérieux, mais j’ai eu un mal de
chien. Au fond, je crois que je me suis dévoilée… »
Tant mieux. Sur le même genre de sujet (« sérieux »),
Hervé Bazin écrit avec L'École des pères un pensum là où Nicole de Buron
choisit la politesse de l’humour.
Quant à prévoir la suite, c’est une autre histoire. Il est
question d’une pièce de théâtre pour Brialy, d’un rôle qu’elle a écrit pour
Muriel Robin – « Ce que j’aime,
c’est le café-théâtre ! » –, mais pas trop de cinéma : « J’aime mieux écrire des livres. On
est plus libre. »
Mais t’as-tout-pour-être-heureuse ! (1996)
Nicole de Buron, comme
beaucoup d’auteurs populaires, est venue à la Foire du livre de Bruxelles pour
la réédition, chez Belgique Loisirs, d’un livre paru il y a quelque temps :
Arrête ton cinéma !, qui avait
reçu le grand prix de l’humour.
Elle vient aussi de
publier un nouveau roman : Mais t’as-tout-pour-être-heureuse !
L’histoire d’une déprime, ce qui n’a, en soi, rien de comique.
« C’est drôle après », dit-elle, et elle le prouve. Elle n’est
cependant pas de ceux qui peuvent rire de tout : « La mort d’un enfant ne me fait pas rire, pas davantage que les
petits Rwandais qui ont des moignons à la place des jambes. »
La dépression, Nicole
de Buron connaît, puisqu’elle est passée par là. « Mais je ne raconte pas ma dépression, je l’ai romancée. J’ai
aussi demandé autour de moi, aux autres, comment s’était passée leur déprime. »
Cela donne une dépression exemplaire, avec le passage par tous les épisodes
classiques. Comme chaque fois qu’elle aborde un sujet, Nicole de Buron ne s’est
donc pas contentée de son expérience, mais s’est documentée : « J’ai lu Styron, Daninos, des ouvrages
spécialisés. » Sans doute, quand elle devra relire ce livre, pour l’une
ou l’autre obligation professionnelle, connaîtra-t-elle la même impression qu’avec
les autres : « Je ne sais plus
ce que j’ai vécu et ce que j’ai inventé. »
Plusieurs choses
ressemblent cependant à ce qu’elle a vraiment connu. Ainsi, l’incompréhension
de son mari : « Mon mari ne
croit pas à la dépression. Je raconte souvent des choses fausses, mais, là,
c’est vrai. La déprime, pour lui, ce sont des histoires de magazines de bonnes
femmes… »
Elle qui écrit tous
les jours, de 5 heures à midi, a aussi connu, comme elle le raconte, la
panne totale pendant cette période. « Ne
plus pouvoir rien faire, et surtout ne plus pouvoir écrire, c’est une véritable
douleur. Je vais toujours mal quand mon travail va mal. »
Restait, une fois sortie
de cet état, à décider d’en faire un livre drôle. Cela a pris un certain temps.
« Quand on est dedans ou quand on en
sort, on n’a pas du tout envie de rigoler. Et puis, plusieurs années après,
c’est venu comme une explosion. C’est la première fois que j’écris un livre si
vite. Pourtant, il représentait un défi pour moi. En outre, il faut savoir que
quinze pour cent des Français sont déprimés et que, parmi eux, il y a deux
femmes sur trois personnes atteintes. »
D’ailleurs, Nicole
de Buron reçoit un courrier de lecteurs qui est surtout un courrier de
lectrices. « Souvent, elles sont
moroses, tristes, elles me racontent leurs malheurs. Et elles me disent :
vous nous faites du bien, vos livres devraient être remboursés par la sécurité
sociale. J’ai donc décidé d’écrire un livre pour les faire rire. C’est comme si
je leur offrais un antidépresseur. »
Les humoristes sont souvent des gens tristes, c’est
un lieu commun qui revient plusieurs fois dans le roman. Or Nicole de Buron
paraît avoir joyeux caractère. Serait-elle l’exception ? Ne nous y
trompons pas : « J’ai un
tempérament anxieux », affirme-t-elle. Admettons. Admettons aussi qu’elle
a tendance à fuir, habituellement, les gens déprimés : « Ma mère était dépressive et, quand
j’étais adolescente, elle s’appuyait beaucoup sur moi. C’était très lourd à
porter… »
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