Jean-Luc Coatalem, qu’il endosse l’habit de journaliste ou
d’écrivain, nous entraîne souvent vers des pays lointains qu’il semble toujours
découvrir avec la gourmandise de celui qui aime partager. Dans les endroits les
plus inattendus – la Corée du Nord, par exemple, dans Nouilles froides à Pyongyang –, il exerce son regard à saisir des
scènes qui en disent long sur la réalité d’un lieu. D’où lui vient ce goût des
ailleurs ?
Voici la réponse, dans La part du fils, sous forme d’une enquête familiale à propos des silences qui
entourent la belle figure de Paol, un de ses grands-pères : « Paradoxalement,
ce manque originel de récit familial, ce trou généalogique, aura fait de moi un
écrivain. A tout, si j’y réfléchis, j’allais préférer les histoires exotiques,
les personnages et les décors tropicaux, comme si j’avais à multiplier les hypothèses. »
Paol, né en 1894 à Brest, a fait la Grande Guerre avant de
devenir officier colonial en Indochine et d’être remobilisé en 1939. Puis
d’être arrêté par la Gestapo en 1943 et de disparaître dans un camp en
Allemagne. A-t-il été dénoncé ? Si oui, par qui ? Avait-il des liens
avec la résistance ? Lesquels ? Qu’est-il exactement devenu après son
arrestation ?
Autant de questions restées sans réponses, en partie parce
que la famille préfère ne pas remuer les ombres du passé, mais qui hantent le
petit-fils. Jean-Luc Coatalem sait ce qu’il doit à Paol et à son passé
extrême-oriental : « sans doute que ma fascination pour le grand Est
viendrait de là. Huit ou neuf fois de suite, je me rendrais dans cette ancienne
Indochine, le Vietnam, le Cambodge et le Laos, m’attachant aux villes, aux
stations d’altitude, à certains bâtiments de brique noircie ou moutarde »…
En tirant les fils ténus qui le relient encore aux faits du
passé, l’auteur réussit à reconstituer le parcours de son grand-père. Mais en
partie seulement, des éléments manquent, certains indices sont, il le reconnaît
lui-même dans une postface, minces. Bien qu’écrivant « au plus près d’un
homme disparu dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale », il
revendique donc, bien obligé, une part de fiction.
En même temps, il bute sur les limites de l’écriture. Cette
histoire de déportation, écrit-il alors qu’il fait route vers le camp de Dora
(pas un prénom de femme mais l’acronyme de « Deutsche Organisation Reichs
Arbeit ») où Paol survécut moins de deux mois et demi, « appartenait
à une zone d’effroi inaccessible à ceux de mon époque, impossible à décrire, à
transmettre réellement »
.Il n’empêche :
Jean-Luc Coatalem a essayé et La part du
fils est tout le contraire d’un échec. Ce qu’il transmet n’est peut-être
pas exactement ce qu’il avait cherché. Mais il a rapporté de Dora bien plus
qu’une pierre avec laquelle il permet symboliquement à son grand-père de
rentrer chez lui. On peut voir le vrai, même quand la lumière n’est pas
parfaite.
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