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jeudi 30 avril 2020

Les joies du calendrier, suite

En l’absence de toute nouveauté dans des libraires d’ailleurs fermées pour la plupart, je vous entretenais la semaine dernière des bouleversements survenus dans le calendrier des parutions. Ce jour-là, je n’avais pas encore commencé à remodeler celui que vous trouvez en bas de cette page. Tout ce qui était annoncé entre le 20 mars et le 19 mai, c’est-à-dire pendant deux mois pleins, avait perdu toute signification.
Aujourd’hui, ça va mieux. Un peu mieux, seulement. Tous les éditeurs n’ont pas encore communiqué les changements de dates pour leurs mises en vente, ceux qui l’ont fait ont, volontairement ou non, « oublié » de préciser ce que deviendraient des titres qui avaient été prévus à une certaine époque, celle d’avant le covid-19, et ces absences m’ont parfois surpris.
Par exemple, où étaient passés, au Seuil, les ouvrages de Maryse Wolinski (date annoncée : le 7 mai), de José Saramago (9 avril) et de Maurice Olender (20 mai) ? J’ai posé la question, la réponse est venue : ils sortiront respectivement le 3 septembre, fin octobre et le 17 septembre. Rien n’est perdu pour eux.
Il n’en ira pas de même, semble-t-il, pour les premiers romans qui auraient pu, chez Gallimard, essayer de trouver leur place dans la prochaine rentrée littéraire. Une rumeur persistante, dont on finira bien par savoir si elle correspond à la réalité, les renvoie à plus tard, ou à jamais. Aucun premier roman (je conserve le conditionnel pour l’instant) ne paraîtrait donc en août sous la couverture blanche ornée d’un triple liseré.
Actes Sud, c’est tout à l’honneur de la maison arlésienne (non, je ne joue pas sur les mots), présente sa rentrée en expliquant comment elle s’est construite en raison des circonstances. Il y aura quatre romans qui avaient été programmés pour ce moment fort de la vie littéraire (et économique du livre). Et trois autres titres qui auraient dû paraître le 22 avril (La part du Sarrasin, de Magyd Cherfi) ou le 1er avril (Le petit polémiste, d’Ilan Duran Cohen, et Le Bon, la Brute et le Renard, de Christian Garcin).
Bertrand Py conclut sa présentation ainsi : « Je souhaite remercier ici les auteurs d’Actes Sud initialement prévus pour ce programme d’août, dont les textes étaient prêts – et qui ont bien voulu s’effacer, céder leur place, pour ne pas faire nombre. Nous reparlerons d’eux en 2021. Cette rentrée 4 + 3 ne sera pas la leur – mais d’une certaine manière elle leur est dédiée. »
Pas sûr que cela les consolera, mais c’est une autre histoire, à moins que ce soit le début d’une histoire sans fin…
Du coup, la rentrée, dont tout le monde, y compris les éditeurs eux-mêmes, s’accorde à dire qu’elle devrait être resserrée en nombre de titres, risque de ne pas l’être tant que cela !

vendredi 24 avril 2020

Les joies du calendrier


Le 26 février, Joël Dicker donnait en un tweet l'information que ses lectrices et lecteurs attendaient avec une certaine impatience.


Le 16 mars, c'était une tout autre chanson...


Et, enfin, la délivrance...

Il est loin d'être le seul, parmi les auteurs attendus depuis quelque temps dans les listes de meilleures ventes, à avoir dû patienter. Je ne vais pas vous faire la liste, mais quelques noms quand même, pour fixer les idées: Alexandre Jardin, Bernard Minier, Olivia Ruiz, l'inévitable Guillaume Musso... (Si quelqu'un a des nouvelles de Marc Levy... A-t-il profité des circonstances pour prendre une année sabbatique? Bien, bien...)
Il y a pire: les auteurs qu'on n'attend pas dans les listes des meilleures ventes mais qui comptent pour dix, cent, mille lectrices et lecteurs. On en parle forcément moins, et encore moins des livres théoriquement sortis à la mi-mars, confinés avant même d'avoir été posés sur les tables des librairies fermées entre-temps.
Depuis un gros mois, les éditeurs ont commencé à revoir leur copie - entendez leur programme. Prématurément pour certains, dont le calendrier ressemble désormais à un brouillon de Proust, paperolles comprises.
Les plus attentifs d'entre vous savent que j'intègre, au bas de cette page, un agenda des parutions. Oubliez-le pour quelques semaines encore, il ne correspond plus à rien - même si, parfois, les versions numériques sont sorties à la date prévue, le papier étant reporté à plus tard.
Et dire que nous sommes à un moment de l'année où la rentrée littéraire est, en principe, presque bouclée... Des parutions qui étaient prévues dans les carnets secrets des éditeurs en ont soudainement disparu, des romancières et des romanciers sont, encore bien plus que nous, dans le brouillard.
En attendant, comme personne n'a lu tout ce qui était paru depuis janvier, il ne manque pas vraiment de nourriture - sans rien dire des conseils (que je ne suis pas) pour supporter le confinement (je ne le suis pas, confiné) grâce à des ouvrages adaptés au contexte ou, au contraire, bien faits pour ouvrir un horizon trop bas.
Et puis, quand les nouveautés reviendront, on appréciera les retrouvailles avec l'actualité. Il n'y manquera, pour les lectures de livres imprimés, que l'odeur de l'encre fraîche - car elle aura eu le temps de se dissiper.

jeudi 7 mai 2015

Claude Durand, des coups et des œuvres

Claude Durand, dont on vient d'apprendre la mort, avait 76 ans, sa vie professionnelle s'était confondue avec celle de l'édition parisienne puisqu'il était entré comme lecteur au Seuil quand il avait vingt ans, en 1958. Puis éditeur, directeur de collection, traducteur avec son épouse de Gabriel Garcia Marquez, lauréat du Médicis en 1979 avec La nuit zoologique pour saluer son arrivée chez Grasset l'année précédente, peu de temps puisqu'il allait devenir le patron de Fayard, pour trente ans, en 1980. Vie bien remplie, faite de "coups", comme on dit dans le milieu, spectaculaires et rentables, mais aussi du suivi d’œuvres importantes comme celles de Soljenitsyne ou de Kadaré dont il gérait les droits mondiaux.
Libéré de ses obligations, il s'est alors remis à écrire, avec des bonheurs divers. J'avais beaucoup aimé son retour, moins la suite... Voici trois moments de ce qui fut sa dernière vie.

Claude Durand n’avait pas publié de livre depuis 1979 – La nuit zoologique, qui avait reçu cette année-là le prix Médicis. Mais combien en a-t-il édité, avant et après ? Il lui avait fallu, peut-être, une brève période de transition chez Grasset pour trouver l’occasion d’écrire, entre un long séjour au Seuil et un autre chez Fayard.
L’ancien instituteur est devenu éditeur en 1965, dans une maison où il avait publié cinq livres en huit ans, dont deux avec Jean Cayrol, un pilier du Seuil. C’est dans cette première période qu’il a découvert et traduit, avec son épouse, Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez. Ou qu’il est devenu l’agent de Soljenitsyne pour le monde entier. De 1980 à 2009, chez Fayard, il a redonné du tonus à une maison qui ne se portait pas très bien. Il a monté des coups comme il les aime : La face cachée du Monde, de Philippe Cohen et Pierre Péan, qui lui avait déjà donné Une jeunesse française, à propos de Mitterrand ; La possibilité d’une île, de Michel Houellebecq, qui manqua le Goncourt en 2005…
Claude Durand connaît tout de l’édition française, où il n’a pas que des amis. On espérait donc secrètement qu’il allait profiter de sa retraite pour écrire un livre bien saignant et « balancer » sur ses confrères. Mais, malgré ses colères, l’homme est élégant. Et il a choisi de se masquer (à peine) pour donner, sous le pseudonyme de François Thuret, un roman qu’à la fin, il postface et signe. J’aurais voulu être éditeur, dit-il. Titre ironique pour qui le fut si longtemps. Et livre qui décrit le fonctionnement d’un système sans tirer sur tout ce qui bouge à l’intérieur de celui-ci. Oh ! il y a bien des personnages à y reconnaître, des clefs à tourner pour faire coïncider certains épisodes avec des événements réels. Nous ne nous priverons pas de vous fournir quelques-unes de ces clefs, même si elles ne sont pas l’essentiel.
Penchons-nous d’abord sur François Thuret, personnage principal d’une aventure dans le Paris des livres. Il y entre par le hasard d’une rencontre bien plus que parce qu’il en aurait rêvé. Puis il y fait son chemin par des voies tortueuses, au travers d’emplois généralement peu rémunérateurs mais qui lui permettent de fréquenter les coulisses d’un monde plus souvent aperçu en représentation. Le jeune homme est assez transparent pour qu’on ne s’interdise pas de parler devant lui. Ce qu’il surprend dans des conversations qui ne lui sont pas destinées est assez édifiant. Les coups tordus ne manquent pas. La valeur littéraire a un rapport très lointain avec les choix éditoriaux. Un lecteur n’est payé que pour refuser les manuscrits. A la Foire du Livre de Francfort, on se bat pour une saucisse bien plus que pour les livres…
J’aurais voulu être éditeur n’a probablement pas été écrit pour encourager les vocations. Tout espoir de faire carrière dans l’édition risque d’être anéanti par le tableau des mœurs qui y règnent. A tel point qu’on se demande si Claude Durand, écrivant son roman, est lucide ou aigri. Les deux, peut-être. Et ce serait sa manière de claquer la porte, histoire de se faire entendre encore une fois, bien fort.

Quelques extraits de ce livre, qui font irrésistiblement penser à...
Françoise Verny
 « T’as une gueule de philosophe. Passe me voir demain au bureau à dix heures » est bien l’expression d’une femme qui buvait, fumait, marmonnait et appelait tout le monde chéri.
Le système Grasset
« Le système maison était des plus élémentaires : des auteurs on faisait des gazetiers, et des gazetiers des auteurs. Quand un auteur-journaliste mettait sur le marché un de ses produits, il était du devoir de tous les journalistes-auteurs affiliés à la maison d’en rendre compte dans les termes les plus flatteurs ».
Henri Troyat
« Bronislav Duchemin, vieil écrivain balte en exil depuis l’avant-guerre, siégeant parmi les Immortels depuis une éternité, qui prétendait à la stature de Hugo en écrivant sur ses deux pieds, accoudé à un lutrin, alors que seuls de fulgurants accès de sciatique justifiaient ce garde-à-vous devant la page blanche. »
Robert Sabatier
« Rémy Chausson, 88 ans, Grand Prix de Littérature populaire des comités d’entreprise de l’industrie chimique pour Les Caramels, suivi de Bonbons fourrés, suivi de Berlingots et de Cachous (à paraître). »
François Nourissier
« Il a édifié toute son œuvre sur son délabrement physique, sa faiblesse morale, son vide spirituel et son ratage social : comment voulez-vous que ça tienne debout ? Il a fini par écrire sous lui. »
L’éditeur Paul Otchakowsky-Laurens
« Le meilleur de mes journées, c’est l’heure du facteur. Ce sont tantôt deux-trois, tantôt dix-douze colis qui s’empilent sur un établi que m’a légué mon père ébéniste et sur lequel je travaille. Et là, je déballe. Je ne laisserais à personne le soin de le faire à ma place. »
L’affaire Renaud Camus, accusé d’antisémitisme
« Depuis quelque temps, un climat délétère plane sur la condition des roux et des rousses de ce pays. Des relents pestilentiels d’antiroussisme remontent des profondeurs les plus ténébreuses de notre passé médiéval. Pourquoi tant de haine ? Va-t-on rafler les roux ? »

Avec les mots, Claude Durand pratique l’accumulation, l’énumération, la liste, l’inventaire, l’idée qui en entraîne une autre dans la logorrhée de son personnage principal. C’est parfois un peu lourd, d’autant que l’efficacité du procédé diminue avec sa répétition. Mais le personnage est riche de ce qu’il a été. Un ancien président français, copie presque conforme de Chirac, occupé à rédiger ses mémoires a bien des souvenirs à organiser. Et bien d’autres à cacher, ce qui produit un double discours dont les méandres valent bien qu’on s’y perde un peu. Quitte à se repérer grâce aux nombreux clins d’œil rappelant des faits connus de tous.

Usage de faux (2015)
Abraham Gold est un de ces faussaires qui encombrent l’édition. Son meilleur défenseur est un sosie de BHL. Son éditrice, le clone de Françoise Verny. Claude Durand connaît tout ça par cœur. Il en fait un plat qui aurait pu être roboratif, s’il s’était éloigné de ses modèles pour en faire des archétypes. Dommage qu’il en reste au stade de l’ébauche, car ses traits touchent leur cible en vibrant – avant de retomber, soudain privés de toute énergie.

lundi 2 décembre 2013

La mort d'André Schiffrin, éditeur qui croyait en sa mission

Le New York Times a annoncé la mort d'André Schiffrin, à Paris, à l'âge de 78 ans. Et alors? direz-vous peut-être, parce que son nom n'avait pas beaucoup circulé dans le grand public. Mais le fils de Jacques Schiffrin qui avait fondé la Bibliothèque de la Pléiade, ce qui n'est pas rien, avait exporté aux Etats-Unis, où il était installé (d'abord avec son père qui y était arrivé en 1941), quelques idées saines sur l'édition. Elles n'étaient pas faciles à défendre, et de moins en moins au fur et à mesure que le temps passait. La cause qu'il défendait était pourtant de celles auxquelles on avait envie d'adhérer.
Cette cause pouvait sembler totalement anachronique à une époque, la nôtre, où l'actualité de l'édition est constituée, en grande partie (mais pas seulement, par bonheur), de deux grands axes divergents: 
  • d'une part, un phénomène apparemment irréversible de concentration entre grandes maisons destinées à devenir de plus en plus grosses (l'exemple récent du rachat de Flammarion par Gallimard en est un exemple) en absorbant aussi, sinon dans la politique éditoriale, au moins dans les structures, des maisons plus modestes;
  • d'autre part, la croissance exponentielle du nombre d'ouvrages auto-édités sur diverses plateformes grâce auxquelles chaque auteur en devenir (ou qui ne bourgeonnera jamais) peut se croire capable de s'imposer dans la jungle commerciale du livre, et d'ailleurs parfois ça marche, pas toujours pour le meilleur hélas!

Dans L'édition sans éditeurs, paru en 1999 et toujours d'actualité, André Schiffrin dénonçait les dérives qui conduisent des gestionnaires à décider de la publication d'un livre en fonction de sa rentabilité, et peu importe la qualité. Il écrivait notamment ceci:
Stimulés par les bouleversements politiques de l’ère Thatcher-Reagan, les propriétaires de maisons d’édition ont toujours cherché à expliquer leurs virages en invoquant le marché: ce n’est pas aux élites d’imposer leurs valeurs à l’ensemble des lecteurs, c’est au public de choisir ce qu’il veut - et si ce qu’il veut est de plus en plus minable et vulgaire, tant pis. Des maisons aussi respectables que le fut Knopf n’hésitent pas à lancer des livres malsains et violents au point d’avoir été refusés par d’autres grands groupes. Toute la question est de savoir choisir les livres qui vont faire un maximum d’argent, et non plus ceux qui correspondent à la mission traditionnelle de l’éditeur.
Dans un entretien publié il y a un peu moins d'un an sur Bibliobs, il se montrait assez pessimiste sur l'avenir de l'édition - la vraie, celle avec des éditeurs qui font des choix littéraires:
Kafka, dont les premières éditions ne dépassaient pas quelques centaines d'exemplaires, aurait été refusé par les commerciaux, qui préféreront toujours une belle marge à la prise de risque sur un auteur sans perspective immédiate de profit.
Il ne verra plus l'évolution de l'édition dans les prochaines années. Nous, oui, pour un peu de temps encore. Ses cris d'alarme vont nous manquer, et sa sagesse aussi. Même si le pire n'est pas toujours sûr...

vendredi 4 octobre 2013

Le Cri fait silence, la fin d'une maison d'édition

C'était il y a un peu plus de trente ans, à Bruxelles... Je connaissais Christian Lutz pour avoir travaillé avec lui chez Libris, la plus importante librairie de la ville - la Fnac n'existait pas - et, chez Marabout, je recevais des manuscrits très éloignés de ce que publiait alors cette maison, du livre pratique exclusivement. Des auteurs avaient encore en mémoire l'époque où Jean-Baptiste Baronian y faisait vivre un fantastique rayon fantastique. Christian m'avait demandé si je ne voulais pas l'aider à trouver des textes pour la maison d'édition qu'il mettait sur pied, Le Cri. Le Cri parce qu'il rêvait d'un logo qui rappellerait le tableau d'Edvard Munch. Cela ne s'est pas fait, mais le rectangle qui fut longtemps le signe de reconnaissance de la maison rappelait l'oeuvre qui aurait dû se trouver à l'intérieur - en creux, comme un silence.
Je faisais office de directeur littéraire dans la structure naissante. Et, ma foi, je suis assez fier des deux ouvrages avec lesquels le catalogue du Cri s'est inauguré.
Il y avait là L'oiseau vespasien, un roman (disons un roman, oui, ce sera plus simple) gorgé de poésie et de mots-valises qu'André Miguel, son auteur, peinait à faire publier parce qu'il ne ressemblait, malgré son évidente beauté, à rien de connu - rien d'habituel, pour le moins. J'avais eu connaissance de l'existence du manuscrit grâce à Jacques Bourlez, un journaliste de radio fou de littérature et poète lui-même.
Il y avait aussi Laura Colombe, de Nadine Monfils, des contes pour petites filles perverses sous le charme desquels était tombée Leonor Fini, qui allait illustrer la couverture. Nadine était un de ces auteurs qui envoyait encore chez Marabout des textes qui n'avaient plus de collection pour les accueillir. Mais, y jetant quand même un coup d’œil, il m'avait semblé y trouver un talent neuf, je les avais lus avec attention, nous avions travaillé ensemble et le manuscrit, un peu foutraque, avait fini par prendre l'allure d'un livre.
Ce fut aussi, à la mesure d'une maison d'édition toute neuve et presque sans moyens, le premier succès (en attendant que Nadine Monfils devienne, plus tard, une écrivaine suivie par des dizaines de milliers de lecteurs), celui qui permit d'aller plus loin, de publier, comme un cadeau que nous nous faisions avec la complicité d'un imprimeur qui voyait là un investissement sur l'avenir, deux petits livres écrits par nous-même, l'un par Christian Lutz (désolé, Christian, j'ai oublié le titre de ton livre), l'autre, donc, par moi-même (Quadrichromie). Péché véniel de narcissisme, dirais-je...
Il y avait eu aussi, et surtout, dans la première année d'existence, trois ouvrages d'auteurs belges de grande taille, et qui n'arrivaient pas avec des fonds de tiroir: Gaston Compère, avec Les griffes de l'ange, Georges Thinès, avec L'homme troué, et Jean Muno, avec Les petits pingouins. Ce n'était pas rien.
L'année suivante, Christian avait décidé de voir plus grand: six titres d'un coup pour la Foire du Livre. Du bon, du très bon, et un peu de moins bon, sur quoi je n'avais pas eu à donner mon avis - et cela signa la fin de nos relations professionnelles à l'intérieur du Cri.
Ensuite, la maison a connu des hauts et des bas mais a tenu le cap, finissant cependant par mettre sur pied un catalogue de grande qualité. Que deviendra-t-il, ce catalogue? Difficile à dire aujourd'hui.
Mais une chose est certaine: Christian Lutz a dû mettre la clef sous le paillasson et le rectangle vide des débuts retrouve, malheureusement, tout son sens.
Le Cri fait silence...

mercredi 18 janvier 2012

Les 40 ans de Folio

Je me souviens de la première fois où j'ai vu, en librairie, des volumes de la collection Folio. Ils venaient de sortir, c'était il y a quarante ans, je ne connaissais rien, mais alors, moins que rien, à la vie de l'édition française, et je me suis longuement interrogé sans trouver de réponse: ils n'étaient pas bien en Livre de poche, les Malraux, Camus et autres Saint-Exupéry? Que leur prenait-il, d'aller faire un tour ailleurs, sous une couverture illustrée où le fond blanc prenait beaucoup de place? (Il allait d'ailleurs très vite jaunir, ce blanc-là - même la reproduction de La chute, de Camus, dans le dépliant envoyé par Gallimard pour l'anniversaire n'y échappe pas.)
Quarante ans, cela représente 5400 titres de 2500 auteurs, 365 millions d'exemplaires vendus, 32 prix Goncourt, presque autant de prix Nobel (31), 13 collections dérivées, depuis les trois lancées en 1985: Folio Essais, Folio Histoire et Folio Actuel. La bande dessinée a trouvé sa place l'an dernier et, pour célébrer les multiples réussites de Folio en quatre décennies, des éditions spéciales paraissent tout au long de l'année. Gastby le magnifique, de Francis Scott Fitzgerald, dans une nouvelle traduction de Philippe Jaworski, est la première. Elle sera suivie par une anthologie du Journal d'André Gide, Candide de Voltaire, illustré par Quentin Blake, les Exercices de style de Raymond Queneau, les Œuvres farfelues d'André Malraux, Sa majesté des mouches de William Golding...
Au fond, la collection a assez peu changé depuis ses débuts. La preuve par deux couvertures du n° 1 de Folio. En haut, celle de 1972, en bas, celle d'aujourd'hui. Il ne vous échappera pas qu'il s'agit de la même photo, dans une maquette pourtant revue de fond en comble. L'auteur a retrouvé son prénom et a pris de la couleur, dans une police de caractères différente. Le rectangle qui symbolisait la collection a disparu. Et la couverture est clairement divisée en deux espaces, auteur et titre dans la partie supérieure, illustration dans la partie inférieure, la plus grande.
Ce que ne montrent pas ces deux couvertures, c'est la variété des modifications apportées au fil du temps. Car il y en a eu d'autres, plus éloignées du modèle d'origine vers lequel revient la dernière mouture. La preuve, peut-être, que les premiers choix étaient à peu près les bons, et que la suite n'a été que des concessions faites à l'air du temps.
L'air du temps a peut-être quelque chose à voir aussi avec la qualité du fonds sur lequel repose Gallimard, cent ans et des poussières. Les éditeurs qui se sont succédé dans la vénérable maison ont très souvent réussi à capter le meilleur de la littérature en train de s'écrire. Depuis le début de cette année (encore très jeune), dans la série de livres au format de poche que ce blog a proposés, il y avait deux excellents romans parus en Folio: un prix Nobel (Herta Müller) et un prix Femina (Maylis de Kerangal). Arrivés là par des chemins parfois détournés: les premières traductions françaises de Herta Müller étaient parues au Seuil et Maylis de Kerangal publie depuis ses débuts chez Verticales. Mais Gallimard avait signé le contrat du dernier roman de Müller avant l'attribution du Nobel et Verticales, belle petite maison d'édition à la survie économique parfois fragile, avait d'abord été soutenue par Slatkine, puis par le Seuil, et enfin intégrée au groupe Gallimard. On ne s'y trompe décidément pas si souvent, même si d'autres ont parfois défriché le terrain.
Et vous voyez aussi que je connais la vie de l'édition française un peu mieux qu'il y a quarante ans...

jeudi 30 juillet 2009

Le livre et mes métiers. 3. Editeur

Je continue, pour ceux que cela intéresse, à remonter lentement le cours d'une existence presque totalement dédiée au livre, et pendant laquelle j'ai pratiqué à peu près tous les métiers dans le domaine.
En 1980, je suis à la tête d'une "œuvre" - deux petits livres insignifiants parus chez Marabout. Or Marabout cherche à renforcer son équipe éditoriale (ou à remplacer quelqu'un qui est parti, je n'en sais plus rien). Me voici sur les rangs, puisque les contacts avaient été bons. Et que, élément déterminant je crois, les manuscrits que j'avais donnés n'avaient nécessité qu'un travail de correction minimal. Je devais donc, se disait-on, être capable de m'occuper des textes des autres. Peut-être... L'idée, en tout cas, m'excitait, même si on était la plupart du temps loin de la littérature.
Me voici donc, pendant deux ans, "éditeur-assistant". Je cherche des sujets, des auteurs, je lis des manuscrits, je corrige des épreuves. Je contacte des copains et des copines quand personne ne se présente spontanément pour traiter un thème dans l'air du temps - ça leur fait un peu de sous, ils sont contents. Je donne mon avis - et, même, on m'écoute parfois. Je corrige des copies parfois exécrables. Je réécris presque complètement un livre sur les armes si mal foutu que je le pensais irrécupérable même si l'auteur savait, et au contraire de moi, de quoi il parlait.
Un jour, une directrice littéraire se met en tête de créer une collection sentimentale. Elle me fait lire des Harlequin pour comprendre comment ça marche. Oui, oui, j'ai donc lu ça. Plus amusant: je fouine en bibliothèque pour trouver des titres à rééditer. Je descends à la cave, où il y a des trésors enfouis sous la poussière. Une traduction manuscrite (un premier jet, je crois) d'un roman de Dostoïevski par Adamov, par exemple. Je ne sais pas ce que c'est devenu. Rien, probablement...
Ce sont deux années pendant lesquelles on me demande aussi d'écrire certains livres moi-même, parce qu'on n'a trouvé personne d'autre pour les faire. J'en ferai de plus en plus, ce qui déterminera la suite.
Mais je n'en ai pas fini avec l'édition. Comme la littérature me manque, je saute sur un projet monté par deux copains. Me voici bombardé directeur littéraire d'une maison naissante. Les deux premiers titres sont imprimés en... sérigraphie. L'un des deux marche, c'est parti! Je discute serré avec des écrivains que j'aime. Une virgule à déplacer ici, peut-être? Ce mot à la place d'un autre? Je m'amuse. Puis me cabre: un livre que je n'aime pas a été publié sans mon avis. Non, mais! C'est qui, le directeur littéraire, ici? (Oui, j'avais peut-être la tête légèrement enflée.) Je claque la porte.
Fin du métier d'éditeur? Pas tout à fait. Je m'y suis remis plus récemment, j'ai fondé la Bibliothèque malgache en 2006 - cette fois, sur ma carte de visite, je suis "Propriétaire - Gérant", avec les majuscules, ah! ah! Au moins, je n'ai pas de chef. Et je m'amuse, je m'amuse... en perdant de l'argent. Enfin, pas trop, mais il y a des fins de mois difficiles. Ne vous apitoyez pas. Je le répète: je m'amuse.
Et je ne connais rien de plus important.
A suivre...