Jean-Philippe Toussaint est écrivain, lauréat des Prix
Médicis et Décembre, ce qui n’interdit pas de s’intéresser au football. En
2015, il a d’ailleurs sorti un petit livre qui porte ce titre : Football. Mais c’est dans un ouvrage plus
ancien et encore plus bref, La mélancolie de Zidane, daté de 2006, que nous puisons un extrait. Il s’agit du grand
moment de faiblesse de celui qui était une icône et qui, d’un coup de tête, est
redevenu un simple humain.
« Personne, dans
le stade, n’a compris ce qui s’était passé. De ma place dans les tribunes du
stade olympique, j’ai vu le match reprendre, les Italiens qui repartaient à l’attaque
et l’action qui s’éloignait vers le but opposé. Un joueur italien était resté
au sol, le geste avait eu lieu, Zidane avait été rattrapé par les divinités
hostiles de la mélancolie. L’arbitre a arrêté la partie, et on se mit à courir
en tous sens sur la pelouse, vers le joueur allongé et en direction du juge de touche,
que des joueurs italiens entouraient, mon regard allait de gauche à droite,
puis, dans mes jumelles, j’ai isolé Zidane, instinctivement, le regard se
dirige toujours vers Zidane, la silhouette de Zidane en maillot blanc debout dans
la nuit au milieu du terrain, son visage en très gros plan dans le viseur de
mes jumelles, et Buffon, le gardien de but italien, qui surgit et se met à lui
parler et à lui masser la tête, lui malaxer le crâne et la nuque, dans un geste
surprenant, caressant, enveloppant, dans un geste qui oint, comme on le ferait
à un enfant, un nouveau-né, pour l’apaiser, pour le calmer. Je ne comprenais
pas ce qui se passait, personne dans le stade ne comprenait ce qui se passait,
l’arbitre s’est dirigé vers le petit groupe de joueurs où se tenait Zidane et a
sorti un carton noir de sa poche, qu’il a brandi en direction du ciel de
Berlin, et j’ai compris tout de suite qu’il était adressé à Zidane, le carton
noir de la mélancolie. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire