Alain Mabanckou avait changé d’éditeur avec ce livre. Pas de manière. Sa verve maîtrisée, aussi éloignée d’une langue policée que de l’exotisme (tel qu’on l’imagine), est présente dès les premières lignes: «Dans notre pays un chef doit être chauve et avoir un gros ventre. Comme mon oncle n’est pas chauve et n’a pas de gros ventre, quand tu le vois c’est pas tout de suite que tu peux savoir que lui c’est un vrai chef avec un grand bureau au centre-ville.» Est-ce à dire qu’il aurait une fois pour toutes « trouvé le truc » et aurait renoncé à explorer de nouvelles voies? Non. Simplement, comme la plupart des écrivains qui se sont forgé un outil personnel – cela s’appelle un style, en général – et s’en trouvent bien, il continue à l’utiliser. Il n’a pas tort, puisqu’il est plaisant à retrouver. En particulier quand, comme cette fois, il s’applique à la vision de Michel, un enfant qui grandit.
Son pays est le Congo, alors communiste. A Pointe-Noire, et en particulier dans sa famille, il n’est pire insulte que: «opium du peuple». Une partie de la terminologie échappe à Michel. Pourquoi faut-il dire du camarade président Marien Ngouabi qu’il est immortel, alors «qu’il est bien mort, qu’il est enterré au cimetière Etatolo»? Bah! cela doit faire partie des mystères de la vie, qu’il comprendra peut-être dans quelques années, avec bien d’autres choses à ses yeux encore obscures. Pourquoi il a en quelque sorte deux pères, pourquoi Caroline l’attire et pourquoi les hommes paient à boire aux filles du quartier pour coller leur bouche sur leur bouche, par exemple…
Chez lui, il possède un petit trésor, dont il ne doit pas parler à l’extérieur sous peine de susciter des jalousies. Une radiocassette, la première de Pointe-Noire, et dedans une bande où un moustachu chante la nostalgie de son arbre. Au contraire du nouveau copain de Caroline, il connaît mieux La Fontaine que Pagnol. Mais c’est de San-Antonio qu’il fera son miel, bien qu’il écrive en «français impoli». Surtout quand Michel découvre que celui-ci parle du Chah d’Iran, pour lui une des grandes énigmes politiques de la planète. Depuis qu’il a été chassé de son pays et cherche à se poser quelque part pour soigner son cancer, Michel suit ses pérégrinations avec angoisse.
Roman de formation, Demain j’aurai vingt ans est aussi une gigantesque partie de plaisir. Un adolescent s’y ébroue en toute liberté, au moins dans les limites de la liberté qu’il parvient à s’offrir. Après des années, il n’a toujours pas renoncé aux plaisirs simples. Un plat de viande de bœuf aux haricots reste un vrai bonheur. Il a néanmoins compris qu’il aura peut-être droit, s’il prend le bon chemin, à un bonheur plus ample et plus complexe. L’âge adulte se profile devant lui non comme une menace mais comme une promesse. Et ce livre, traversé pourtant par quelques ombres, est une leçon dans laquelle aucune démonstration n’est nécessaire.
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